lundi 31 août 2009

La prêtresse et le mystère de la foi

Je me trouvais accompagné de mon père dans une cathédrale où des milliers de fidèles s'étaient réunis pour venir écouter les homélies flamboyantes d'une prêtresse aux cheveux roux et bouclés. Elle s'exprimait avec la fougue de Jean le Baptiste, emportée par une foi rayonnante qui chauffait le temple d'un brasier de paroles puissantes, efficaces et incisives. J'étais supris par le mordant de ses discours et me demandais si je ne m'étais pas trompé sur le compte des fidèles et des écclésiastiques en général. Son regard croisa le mien pendant qu'elle vrombissait ses enseignements chrétiens et qu'elle hypnotisait ses adeptes. Elle donna la parole à son compère, un curé plus vieux et plus expérimenté qu'elle, et elle vint prendre place entre moi et mon père.

Elle était jeune et ne devait pas pratiquer le métier depuis bien des années, bien qu'elle le fisse avec excellence. Ses yeux clairs et sa tignasse rouge me fascinaient - on aurait dit qu'elle sortait tout droit de l'enfer. Je me forçais d'écouter le vénérable, mais elle me chuchota quelques mots à l'oreille, comme pour préciser la pensée de son compère; je me demandai alors pourquoi elle s'était intéressé à ma présence, pourquoi elle m'avait approché. Silencieusement, nous nous entretînmes en surface sur les prémisses théologiques avancées durant le reste du discours. Le contact fut de qualité et je fus désolé de la voir repartir, alors qu'elle devait conclure la messe.

Je décidai d'attendre que la cathédrale se vide de ses fidèles et laissai mon père quitter seul. Je restai assis, feignant du mieux que je le pus de pieux comportements, gardant l'oeil ouvert sur les allées et venues de la mystique rouquine. Elle restait près de l'autel; je décidai de l'y rejoindre et me rendis compte qu'elle s'était assise pour dessiner au pastel sur de grands papiers vierges. Elle travaillait à gros traits et illustrait une cathédrale, vue de côté.

- De quoi veux-tu me parler?
- Je ne sais pas? Du mystère de la foi? dis-je à moitié en blaguant, sachant qu'elle ne mordrait pas au sarcasme.

Nous parlâmes pendant trois quarts d'heure - de foi, de non-foi, de Christ et d'Antéchrist, d'universalité du message chrétien, des limites du langage, du récit biblique, du rôle cosmique de l'homme, de la Création, de chasteté et d'hypersexualisation. J'appris qu'elle avait étudié la théologie au même endroit que j'avais suivi mes cours de philosophie, qu'elle avait été admise l'année pendant laquelle j'avais moi-même abandonné et je fus consterné de ne pas l'avoir connue plus tôt - de ne pas l'avoir sauvée de son terrible voeu. Malgré des points de vue parfois outrageusement différents, je ressentis non seulement une vive connection entre nos esprits, mais une réelle tension sexuelle qui la faisait éviter mon regard - et qui la faisait dessiner avec un peu plus de rage un Christ en croix saignait de tous ses membres.

- Vous reviendrez à la messe?
- Seulement si c'est vous qui donne l'homélie.

Nous conclûmes notre entretien et je quittai la cathédrale avec le coeur et l'âme bouleversés. Il me semblait que cette prêtresse avait en elle quelque chose d'innomable que je n'avais pas, une parcelle de mystère que j'avais sans doute déjà perçue en moi, mais que je m'étais aliénée depuis bien des années. Je pensai alors à Igor Stravinsky ,à Bob Dylan, à leur religious rebirths, et à comment j'avais toujours trouvé cela à peu près pathétique. Je me demandai s'il était possible qu'un jour, je rejoigne moi aussi le troupeau. Je compris par ailleurs qu'elle avait élégamment réussi à s'en tenir précisément au sujet que je lui avais proposé au départ, celui du mystère de la foi, réveillant du coup avec respect et subtilité une question que l'on ignore avec trop d'aisance, que l'on préfère répondre sous sa forme négative (parce que beaucoup plus facile à répondre): en quoi crois-je?

samedi 29 août 2009

La bonne monture (suite)

J'arrivai à l'heure convenue. Jennifer me salua; elle semblait excitée, comme si elle eut exagéré avec la caféine. Elle chercha avec une nervosité à peine camouflée mes lunettes, imprima ma facture, me fit payer mes dûs. Puis, elle demanda:

- Vous... avez toujours besoin d'aide pour vos verres fumés?
- C'est sûr, sinon je serais venu plus tôt.
- Nous fermons dans quelques minutes, tu me donneras quelques minutes?

Elle me tutoyait maintenant. J'attendis à l'extérieur de la lunetterie, dans le centre d'achat propre à cet édifice à bureaux, dont les heures d'ouverture concordaient aux horaires des travailleurs en cravate. Elle apparut par derrière, ayant sorti par une porte réservée aux employés. Je me retournai, souris, et lui offris d'aller d'abord prendre un verre et manger. J'avais en tête un restaurant situé un peu à l'extérieur de la ville, au milieu d'arbres et au pied d'une montagne, et qui figurait parmi les meilleurs établissements de la région dans tous les guides touristiques.

Elle fut toute impressionnée par l'Audi que je conduisais et me demanda mille questions à ce sujet, auxquelles je ne savais répondre - grand ignorant du monde de l'automobile. Elle me questionna ensuite sur mon boulot, sur mon lieu de résidence, à quoi je répondis sans donner les détails ennuyants.

- Je peux changer le poste de ta radio?

Cette question ôta presque tout le pouvoir que son petit cul aurait pu exercer sur moi. La radio était éteinte comme toujours et je faisais jouer Art Blakey's Jazz Messengers avec Thelonious Monk, un classique personnel et un classique tout court. Mesdames, on ne demande pas à un mec de changer sa musique, surtout pas pour la remplacer par un odieux poste de radio où on nous pollue le canal auditif de pubs de nettoyeur de tapis.

Elle exposa ensuite sa passion pour les cheveaux. Sa tante avait un ranch et elle passait le plus clair de son temps libre à les brosser, à les monter et à, je ne sais trop, peut-être fantasmer dessus. Je dois immédiatement aviser le lecteur que j'ai un certain dégoût pour la race chevaline, ayant dans ma jeunesse entretenu une relation avec une fille qui aurait probablement préféré s'incarner en jument. On m'entraînait contre mon gré dans des compétitions équestres, me faisait pelleter leurs excréments tout de suite après le souper. Aussi, mes parents s'étaient pendant quelques années enflammés pour cette passion qualifiable d'archaïque, un peu comme la chasse au fusil à poudre. L'une de ces bêtes couardes avait propulsé ma mère au sol comme une vulgaire poche de fumier, et la pauvre s'était retrouvée pendant des semaines avec des lésions visibles au visage et son lot de douleurs musculaires. Je dis à Jennifer que je préférais le cheval dans mon assiette que sous mes couilles, ce qui eut un effet monstre, et j'eus l'impression qu'elle se cramponnait à la portière de ma voiture, comme si elle espérait être éjectée de son siège.

Comme il fallait impérativement changer le ton de cette sortie, avant que nous nous fracassions dans un mur, je lui demandai si elle était toujours aux études. Elle me répondit que oui, qu'elle en était à sa troisième année de géologie. Elle me demanda si j'étais moi-même aux études et lui répondit que je complétais à temps partiel une maîtrise payée par mon employeur.

Nous mangêames d'excellents mets, mais ma compagne ne sembla pas apprécier outre-mesure. Elle aurait préféré des pâtes alfredo à sa tajine d'agneau aux figues. Nous nous rendîmes rapidement, tous deux, à l'évidence que nos personnalités différaient du petit orteil jusqu'à la moëlle épinière.

- Écoute, Jennifer, tu vas me trouver très direct, mais je ne crois pas que tu auras de difficulté à établir avec moi le concensus que nos caractères sont à peu près diamétralement opposés.

Elle réagit à cette affirmation en riant, en s'essuyant la bouche avec sa serviette, puis en répondant:

- Ça me semble évident... Mais là tu me mets mal à l'aise.
- Désolé, tu préfères que je te ramène?
- Et tes lunettes de soleil?
- J'en ai déjà, crains pas.

Sur le chemin du retour, la tension descendue, nous nous entendîmes pour écouter Jean Leloup, nous argumentâmes en rigolant sur la consommation de viande chevaline, et arrivés à son appartemment, nous nous dîmes adieu, merci pour les lunettes, merci pour le repas. J'aperçus sur son visage un sourire de léger dépit alors qu'elle refermait la portière.

jeudi 27 août 2009

Les duchesses

Vienne, 2006.

L'Hôtel Imperial était pratiquement désert. C'était un lundi. Après avoir donné mon numéro de confirmation, hypnotisé par l'immense oeuvre du XIXe siècle accrochée sur le mur, un garçon s'empara de mes valises et on m'invita à prendre un cocktail en me nommant gentleman, ce que j'acceptai volontiers. Je commandai un martini, en admirant l'opulante décoration, et évoquant dans ma tête le contraste flagrant avec les cabanes à sucre du Québec. Je le terminai en explorant l'hôtel, un établissement superbe, classé cinq étoiles, au coeur de Vienne, où on ne vous accomodait pas pour moins de cinq cent dollars américains la nuit. L'endroit avait été bâtie en 1863 selon les plans de l'architecte Arnold Zenetti, et devait servir de demeure au Duc Philippe de Württemberg, mais comme celui-ci ne l'appréciait pas suffisamment, lui et la Duchesse vendirent moins de cinq ans après leur emménagement. L'Empereur Franz Joseph inaugura l'hôtel en 1873. Hitler y avait travaillé dans sa jeunesse, et, aussi, Mussolini y avait logé, pendant la Deuxième Guerre. Des gens gentils avaient dû dormir ici, également.

Mon employeur tenait à ce que je spécifie aux investisseurs potentiels où la compagnie logeait ses chers employés: cela donnait à la compagnie une aura de confiance en ses moyens, et surtout, en son avenir. Le lendemain, je devais convaincre des monsieurs d'investir plusieurs millions d'euros dans l'entreprise, décision que je motiverais en brandissant la gamme de produits "rajeunissants" qui étaient en développement depuis des mois.

J'appris qu'un mariage avait lieu dans la Marmorsaal (Hall de marbre). Je demandai des directions et on m'y amena. Les mariages ont coutûme d'être remplis de beautés imbibées d'alcool, fêtardes et jalouses de la nuit qu'allait passer la mariée. Je me glissai en douce dans le hall de marbre, où une centaine d'invités festoyaient l'union de deux parfaits inconnus et où on s'exprimait en allemand.

Comme de fait, je fis la rencontre de Aiina et Saabree, une cousine du marié et la fille d'un proche ami du père de la mariée. Elles s'étaient rencontrées le soir même. Les deux portaient des robes de goût, la première en rose, la tête décorée de fleurs, et l'autre en blanc, avec un joli ruban bleu qui faisait le tour de sa taille. Saabree était plus jolie qu'Aiina, mais celle-ci s'exprimait avec un meilleur anglais. Elles m'indiquèrent leur âge avec leurs doigts, vingt-et-un ans pour Saabree et Aiina, vingt-six ans. Je leur avouai d'emblée que je ne connaissais pas les mariés, que je m'étais infiltré par pure envie de rencontrer des gens et de festoyer. Elles n'en firent pas grand cas, m'avouèrent qu'elles ne connaissaient qu'à peine le couple, mais que leur présence était obligatoire. Nous riâmes et buvâmes comme des adolescents et quand les invités commencèrent à déserter, je leur proposai de poursuivre la fête ailleurs, dans un bar, s'il y en avait un à distance de marche. Elles se regardèrent, se consultèrent, ricanèrent, et m'annoncèrent qu'elles adoreraient, mais que leur accoutrement était trop chic pour les bars, qu'il serait préférable de s'en tenir à l'hôtel. Saabree logeait dans la même chambre que ses parents. Aiina avait la propre sienne, à proximité de celles où ses parents dormaient déjà. Il fut relativement aisé pour Saabree d'obtenir de ses parents l'autorisation de passer la nuit avec Aiina, à condition qu'à huit heures le lendemain, elle serait prête pour leur retour à Innsbruck.

Les inhibitions furent laissées sur le marbre du hall. Dès que nous furent seuls dans la luxueuse chambre d'Aiina, elle fouilla dans ses effectifs et ressorti un sachet de cocaïne et grâce à un billet de cent euros, nous nous envoyâmes dans le nez de quoi s'amuser pour le reste de la nuit. Saabree me demanda de défaire le ruban autour de sa taille, ce que je fis avec lenteur et avant qu'Aiina ne ressorte de la salle de bain, nous étions en train de nous embrasser avec passion, ma main remontait lentement le long de sa cuisse, mes doigts serraient fort sa chair de jeune nymphe. Aiina hésita à peine, nous rejoignit sur le lit, posa ses mains sur mes épaules et écrasa ses lèvres dans mon cou, par derrière. Elle ôta mon veston alors que les mains de Saabree pénétraient les interstices de ma chemise, la déboutonnait avec l'empressement du feu. J'entendais Aiina me chuchoter à l'oreille des mots en allemands; ne pas les comprendre m'excitait à en perdre la tête. Je les pris toutes deux par la taille, les couchai devant moi sur le lit royal. Elles se regardèrent et s'embrassèrent, comme le font les jeunes filles, avec fougue. Je mis mes mains sur la cuisse droite de Saabree et sur la cuisse gauche d'Aiina, sous leur robe. Je remontai lentement jusqu'à ce que je sente la chaleur et l'humidité dégagée de leurs sexes moites. Je ne pus résister de toucher à travers leur culotte la petite fente que je convoitais de plus en plus; j'agitai doucement mes doigts autour de l'apex de leur sillon de chair délicate. Elles gémissaient, s'embrassaient, se tortillaient.

Après presque deux heures de doigts, de langues et de sexe, elles s'endormirent sur mon torse, et je dûs me dégager avec minutie pour ne pas les réveiller. Je remis mes chaussures et boutonna paresseusement ma chemise en les observant dormir comme des duchesses. Je laissai un mot, en anglais: "You are both adorable. Here is my email address, in case you girls come to visit America. Love, Angélus."

Le lendemain, je rencontrais les clients de l'entreprise à huit heures au Café Imperial, dans l'hôtel même, pour le petit déjeûner. Je fis une excellente impression. Le mois suivant, le président m'annonçait un important investissement de la part de ces messieurs et un congé de trois semaines en guise de remerciement, à quoi se greffait un coquet boni en argent.

mercredi 26 août 2009

La bonne monture

Elle pose la lunette sur mon visage et m’examine de différents angles en fronçant les sourcils, en bougeant presque imperceptiblement ses lèvres roses, juste assez pour me faire oublier où je suis.

- Que pensez-vous de celle-ci?

Elle est jolie, soignée, maquillée avec goût, elle aime visiblement son corps, s’exprime avec délicatesse et justesse. À travers son chemisier rouge, j’aperçois la forme de sa brassière.

- Et vous, qu’en pensez-vous?
- Cela dépend de ce que vous voulez dégager. Celle-ci vous donne un air intellectuel, peut-être un peu sérieux, mais elle vous va bien, très bien.

Elle pose sa main sur mon dos, me fait pivoter vers le miroir pour me laisser constater par moi-même. Elle reprend la monture, repose sur mes oreilles et mon nez celle essayée plus tôt, la Calvin Klein.

- Celle-ci vous sied également. Allure plus décontractée, plus sensuelle.

Je réponds par un sourire amusé et j’ajoute :

- Elle fait sans doute le même effet que les vôtres, alors. Je prendrai celle-ci.

En marchant vers le comptoir d’accueil, j’observe discrètement ses fesses moulées dans sa jupe noire; elle les déplace avec un certain dévouement. Je lui donne ma prescription : une correction mineure dans chaque œil, nécessaire après des centaines – des milliers? – d’heures d’études et d’écrans. Je perçois une gêne lorsqu’elle me demande mes coordonnées. Je lui donne mon numéro de téléphone à l’appartement, celui du bureau. Je lui offre un regard mesquin.

- J’aurais également besoin de lunettes de soleil, mais je n’aime pas les modèles que vous offrez ici. Appelez-moi sur mon numéro de portable. Vous êtes une excellente conseillère, vous me serez plus qu’utile. Si vous êtes libre, jeudi soir?

Je glisse ma carte d’affaires sur le comptoir. J’ai peut-être un peu rougi, à peine, comme d’habitude. Elle prend la carte, visiblement enchevêtrée dans l’explosion de pensées que je viens de provoquer, esquisse un sourire rapide, gêné, et la pose à l’écart de mon dossier.

- Vos montures seront prêtes d’ici jeudi soir. Vous pourrez passer, disons vers 16h50? On ferme à 17h.

lundi 24 août 2009

Le triumvirat

Mon fils, disait ma mère, écoute ton cœur. Ton cœur sait ce qui est bon pour toi. Tu sauras dans ton cœur ce qui est vrai, bon. Mon père lui, bien qu’il ne tenait pas un discours aussi direct, aussi dans tes dents, il disait, à sa façon, d’une part par ses silences, d’une autre par ses enthousiasmes choisis, écoute ta raison. Ma mère n’était pas totalement cœur et mon père, pas totalement raison. Sinon ils ne se seraient jamais aimés. Je crois.

Quand la pilosité fit sa grandiose entrée et étendit progressivement son emprise sur les diverses chambres du palais qu’était mon jeune corps vierge de mâle fier, c’est comme si mon cœur était allé s’isoler dans mes lectures et que ma tête s’était déplacée dans mes couilles. Devant toute décision, je choisissais celle qui me donnerait le plus de chances de mettre à l’épreuve ces connaissances acquises lors d’innombrables soirées à scruter sur écran des blondes anonymes en prendre par tous les orifices. Évidemment, quand une telle décision menait à un succès, je constatais que les jeunes filles ne s’agitaient pas avec la même verve que dans les films; j’en étais déçu, mais j’espérais qu’en vieillissant, ça s’épicerait, ce qui arriva heureusement, et mes attentes furent largement comblées. La phase j’ai des couilles donc je suis se poursuivit longtemps, dure toujours, sous une forme plus nuancée, mais non moins empoignante (pour utiliser un terme de circonstance), et ne s’arrêtera, je présume et appréhende, qu’à l’âge ingrat où on se mettra à m’offrir en cadeaux des photos de petits-enfants et des bibelots, moment où je n’hésiterai pas à vendre mon âme au diable et à m’abandonner en vices et en dévergondages des plus immoraux.

En conséquence à de multiples déraillements amoureux, on finit par se rappeler ce que disaient Papa et Maman. Tête, cœur. Bon, comment ça marche, ça, encore? J’ai donc redistribué mes parcelles d’âme, en reconnaissant à la tête et au cœur leur juste part de l’être, mais en laissant tout de même la majorité à mon sexe qui ne dérougissait pas et aurait rapidement jalousé les deux autres. Ce remaniement ministériel me profita généreusement, me dotant de formidables outils qui me permirent l’accès à des rencontres plus profondes, à des bonheurs subtils et à des jouissances plus totales, faisant apparoir la splendeur d’une jouissance tripartite cœur-intellect-verge.

La régence du triumvirat n’est toutefois pas aisée. D’abord, elle ne prescrit pas de lois. Elle tient en place par la seule envie de jouir toujours plus grand et plus fort, jusqu’à la galaxie voisine, jusqu’à l’asphyxie, jusqu’au plus grand des dangers. Elle règne dans un climat de mots justes, d’alcools sophistiqués, de musiques exotiques, d’accoutrements complexes et soignés dont on se sert comme un pêcheur de ses filets. Elle demande de l’intelligence, grâce à quoi les plans d’opérations deviennent efficaces, par laquelle on se fait davantage incisif, exquis, effrayant, qui aiguise un humour excentrique qui fait marrer ceux qui ont du discernement et qui traumatise les cons. Elle nécessite le cœur; le cœur qui écoute, qui nous dote d’empathie et de magnanimité, le cœur qui encourage le risque, la folie, qui fracasse les barrières – le cœur cet altruiste. Et, bien sûr, les couilles, ces deux rois du sud, ces incorrigibles lions qui n’en ont que pour la chair, qui dévoreraient le moindre quart de pouce de peau révélée (surtout si dénudée accidentellement).

Il y a cependant un petit hic : c’est que les femmes, elles en ont pas de couilles (physiquement, dois-je spécifier). Le troisième membre du triumvirat, est remplacé par autre chose : une bouillie chimique innommable au fond des entrailles qui trouve toujours le moyen de poisser le bon fonctionnement du royaume. L’intelligence abdique aussitôt qu’elle entend la valse des consternations dans le hall, lance sa couronne par la fenêtre et la suit tout juste derrière. Le cœur, plus il tente de faire preuve d’empathie (et il essaie parfois fort), plus il a la nausée. Et les couilles se frustrent, elles ont envie de se vider quelque part, ne voient pas d’espoir, se projettent sous une jupe aléatoire vue quelque part dans la semaine. Pourtant, certaines ont définitivement plus de couilles (psychiquement, cette-fois) que certains hommes qui les ont laissées ratatiner. Il faut les avoir à l’œil : celles-là sont tranchantes, maléfiques, ce sont de véritables sorcières, des ensorceleuses sans pitié, dangereuses, donc délicieuses. Elles opèrent avec un seul but : vous vider de tous vos sucs pour leur propre profit. Il s’ensuit alors une véritable et délicieuse guerre de tranchées qui a les augures d’une véritable jouissance nucléaire.

Le triumvirat est temporaire jusqu’à, dit-on, l’âge de la mâtûrité. Hell. La maturité, sous cet angle, me fait autant envie qu’une bière à 0,5%. J’aurais aimé que la maturité trépasse avec la génération d’avant, qu’on ait proclamé haut et fort sa mort jusque dans les écoles et que les politiciens ne s’affichent plus comme des vertueux mais comme des impulsifs réfléchis et obsédés.

C’est, j’imagine, le propre de l’hédoniste de devoir s’épandre en propagandes pour sa paroisse. Il cherche à convaincre, à ébruiter les vertus du plaisir absolu, à encourager la quête de celui-ci, à créer de nouveaux sourires, à prospecter de nouvelles félicités. Il rejette le morose, le limité, l’ordinaire, la simplicité, même, et y préfère les couleurs vives, le hasard, l’exceptionnel, le composé. Il exècre la stabilité, en fait, elle le tue, lui fait moisir la tête, le cœur et les couilles.

L’hédoniste est un nomade à l’intérieur de lui-même.

samedi 22 août 2009

Birds Return

jeudi 20 août 2009

Lettre en réponse à S.

Chère S.,

J’espère que tu m’excuseras d’abord le temps que j’ai mis à te répondre. Aussi, je te tutoierai, je préfère cela. Je t’imaginais attendre avec impatience ma réponse. Tu devais te douter que ma réponse n’arriverait pas immédiatement, mais là, quelques semaines se sont écoulées et tu devais commencer à penser que ta lettre était tombée dans le néant. Sache qu’il n’en était rien. J’ai médité longtemps, relu ta lettre d’au moins dix angles différents, j’ai imaginé ce que serait la vie avec une esclave à mon service, ce que serait la vie avec le regret de n’avoir pas dit oui. Et j’ai voulu attendre, pour voir si tu tiendrais la route. Tu as été sage, tu as attendu.

Une esclave moderne, qu’est ce que c’est, qu’est ce que ça implique? Comme tu l’abordais dans ta lettre, le cadre social s’y apprête mal. On pourrait me poursuivre, on me trainerait dans la merde dans les médias, on dirait « C’est un tyran! C’est un pervers! ». Ça ne serait pas totalement faux. Tu ferais des interventions en ma défense et on s’en indignerait davantage : « Voyez comme il l’a brainwashée! ». Éventuellement, cette relation maître-esclave deviendrait une prison, autant pour moi que pour toi, je finirais par te haïr, tu me mépriserais et tu regretterais. Je te chasserais et nous en sortirions plus blessés que grandis.

Ton offre est pourtant alléchante. Il y a en moi un maître intransigeant, désireux de dominer, d’exercer une puissance. Mais, vois-tu, je doute que tu saches ce que c’est, d’être dominée. Tu me parles de ta dignité. Être dominé, c’est ne pas en avoir, de la dignité. C’est y renoncer. Il n’y a pas de telle chose au monde qu’une esclave digne. Je te ferais porter des costumes pour te rappeler ta position, je te donnerais la fessée quand tu ferais la vilaine, je pourrais t’humilier devant mes invités lorsque ta présence serait importune. Si tourner des boulettes te semble dégradant, attend de voir les marques rouges sur tes fesses après la punition. On ne te ferait pas ça au McDo. Moi si.

Autant ta proposition semble noble à la première lecture, autant il me semble qu’il s’agisse davantage d’une fuite que d’un réel engagement, davantage un appel à l’aide qu’une réelle renonciation. Tu prétends ne pas croire à la liberté. La liberté prend plusieurs formes. La liberté, c’est avoir l’espace dont on a besoin, mental ou physique. Tu as pris la liberté de t’offrir à moi, dans un dans un accès de romantisme sans bornes, tu désires toujours la liberté d’écrire, de créer. La liberté ne te demande pas d’avoir de la foi. La liberté n’est pas un dieu, c’est un sentiment. Une esclave n’a pas droit à ce sentiment. Elle doit refuser tout désir qui émane de sa personne et tourner toute son existence vers celui qu’elle sert. Tu n’es pas prête à cela. Personne ne l’est, même en naissant esclave, jamais un humain ne se sera fait à cette condition.

Serais-tu en réalité amoureuse de moi, S.? Est-ce que par hasard, lors de cette soirée de poésie (emmerdante à fond, je te l’accorde), tu n’aurais pas avec ton nez de femme senti chez moi la force masculine manquante dans ta propre individualité? Je me le demande, car il me semble que s’il y avait une parcelle de guerrière en toi, si tu étais mue par la moindre force prédatrice, tu m’aurais probablement plutôt attaquée de regards vicieux, tu m’aurais dit des phrases plus ou moins subtiles pour m’attirer dans tes draps. Mais ce n’est pas ce que tu as fait. Tu as gardé le silence. Tu m’as regardé, tu m’as écouté, tu es restée immobile, intimidée. À onze heures tu as dit que tu devais quitter. Ton amie voulait que tu restes, je lui ai dit que tu étais sûrement assez grande pour décider quand il fallait partir. Tu as aimé cela, tu as montré tes dents pour la première fois de la soirée, puis tu es partie. Puis, tu es rentrée chez toi, tu as peut-être bu un peu, puis tu t’es mise à rédiger ta fameuse lettre. Tu me l’as envoyée le lendemain, et je l’ai reçue sur mon portable, dans un avion qui allait atterrir à LaGuardia. J’ai été obsédé durant toute la conférence, puis pendant la nuit à l’hôtel, j’ai rêvé de plantations de canne à sucre.

Je ne veux pas être ton maître, S. Si je veux quelqu’un pour torcher mes fenêtres, récurer mes toilettes, laver mon linge sale, pour élever mes hypothétiques enfants, ou pour gérer mes comptes, j’engagerai quelqu’un, j’en ai les moyens. Et si je veux taper les fesses d’une maid, je trouverai preneuse, une esclave d’un soir – une vraie, ou je payerai une pute.
Ceci dit, je referme doucement tes petits doigts sur ta liberté. Fais-en ce que tu veux. Si tu souhaites absolument devenir esclave, tu trouveras preneur. On est tous esclave de quelque chose, on délaisse tous notre dignité pour quelque obsession. Sois vigilante, ne laisse pas la prudence éteindre tes feux intérieurs, et surtout prend confiance. Prend confiance, car il y a effectivement une guerrière quelque part en toi, prête au cri de guerre, qui a peut-être trébuché par asthénie en voulant s’abandonner à moi, mais qui a prouvé son courage par la vigueur et l’originalité de ses avances.

Sois libre,

Angélus.

mardi 18 août 2009

Les ailes qui battent en syncope

J’ai, comme tous, une conscience expansible. Elle peut, en l’espace de quelques secondes, passer de la considération astrale et éternelle au fantasme sexuel tordu et avilissant. Passer d’une contemplation profonde et sincère devant des branches d’érable ballotant dans le vent avec ses feuilles à un dédain profond devant des invitations répétées à un shower de bébé. Un jour, je pêche sur un lac en compagnie d’un ancien professeur de philo, ex-futur-prêtre, et le lendemain, je suis sur un bâteau-party sur la rivière avec des ex-collègues qui font de la coke, à babord, et qui se frottent ensemble à se faire mouiller, à tribord.

C’est comme ça, avec moi : le matin, j’ai envie de poursuivre noblement mes études en philosophie – m’inspirer de Nietzsche et Schopenhauer et Jung (sont hot les allemands), mais le soir, je m’insurge contre l’establishment, je vomis sur tous ces penseurs et je dis même que penser, c’est comme chier, faut que ça sorte, mais tout le monde s’en calisse jusqu’à temps que ça pue – moment où enfin ça se met à réagir. On finit par flusher et on oublie. Un petit peu de spray aux agrumes et un petit peu de « avez-vous vu le dernier film de Tarantino? », et ça passe.

Hier, j’avais quatre cent piastres de vêtements sur moi : une belle chemise repassée de chez Harry Rosen avec les pantalons que l’habilleur suggérait quand je les ai achetés. Aujourd’hui, un jeans un tantinet déchiré juste en dessous de mes couilles et un t-shirt de Hatebreed.

Une semaine, je mange bio, je fais de la course en revenant de travailler, je vais au dojo, j’écoute les premiers concertos de Prokofiev et je proclame les vertus de l’amour. Mais le vendredi soir, je partage trois bouteilles de vin, je fume un demi-paquet de cigarettes et deux joints, j’écoute du Amy Winehouse, du Nine Inch Nails, du Opeth en espérant que l’amie de l’autre me fasse un deepthroat et/ou de la lécher jusqu'aux os.

En bout de ligne, ça vient difficile de répondre à : « t’es quel genre d’homme, toi? » J’ai toujours envie de répondre : « le genre papillon qui a deux ailes qui battent en syncope».

lundi 17 août 2009

Les Damnés

C’est un bar minable sur une rue minable dans une ville minable, entre une pizzeria et un salon de tatouage - minable. Dans quelques heures, le bar se transformera pour quelques-uns en temple sacré où s’opérera la plus grande des magies.

J’arrive tôt, il est dix-sept heures, et pour l’instant, les seuls clients sont des retraités, ou en tout cas, ils sont à la veille de l’être. Je branche les amplis, les guitares, le clavier, je visse les cymbales. La serveuse du 5 à 7 vient me voir. Elle a un visage jeune et fougueux, des fesses bien enveloppées dans ses shorts en jeans, un sourire naïf. Elle m’apporte tel que demandé un Glenlivet sans glace avec un regard qui en dit long sur ce qu’elle me ferait, s’en retourne sur la terrasse.

Tests de son. Je me positionne à divers endroits, je fais des signes avec le pouce; plus fort, moins fort. Kick kick kick, snare, snare, hat. Le propriétaire n’en peut plus. Il dit aux gars du band de se la fermer, que les clients du 5 à 7 ont droit à un peu de calme. On se querelle, à peine poliment. Quand le proprio lâche prise, on se moque de lui dans son dos.

Je suis assis sur un banc, en écoutant les musiciens se réchauffer. Une dame, dans la soixantaine, vient me demander: "Ça sonne comme quoi, le show, ce soir? Metallica, Guns N'Roses?" "Comme rien que vous pourriez tolérer plus de cinq secondes, madame." Elle est saoule, et quand les musiciens testent leur instrument, elle fredonne la guitare de "Smoke on the Water" en tapant d'une main sur sa cuisse, mettant sans subtilité l'autre sur ma cuisse. Je me dégage aussitôt, je regarde un ami et je lui fais un sourire pincé qui veut clairement dire "hostie de fatiguante".

Après avoir mangé dans le plus petit Mike’s du monde, retour au bar, ce temple au dieu du Misérabilisme. Un pichet. Puis un autre, en attendant. Un type se faufile derrière le bar, et chuchote à la serveuse. Il a de vieilles mèches qui furent rouges mais étaient maintenant roses. Son visage est orné de métal en quelques endroits. Sa laideur est exemplaire. Il sort un flacon de pilules, retire avec son pouce le bouchon, le tapote sur sa main, en soutire deux comprimés puis les glisse dans la poche de la serveuse.

Peu à peu le bar se remplit. Ils ont entre seize et quarante ans. Ils sont habillés sombrement, ils sourient avec modération, se commandent des grosses Ex. L’un d’eux n’a pas de chandail, porte avec fierté un chapeau de cowboy de piètre qualité, des verres fumées passées de mode, il sourit avec défiance, avec mépris. Un autre porte un chandail sur lequel on peut lire « I fucked and killed your girlfriend ». Une fille s’est accoutrée de cuir reluisant et s’est fait des tresses qui descendent comme deux serpents près de ses seins.

De la fumée envahit le bar. Le band va bientôt apparaître. The Ceremony is about to begin, c’est Jim Morrison qui disait ça. Pendant un instant, on ne perçoit que des lueurs rouges, bleues, vertes. De l’orgue. Une voix annonce la démission de Dieu et l’annihilation de son agneau. Puis, les quatre musiciens sortent de nulle part, empoignent leurs instruments. Ils portent des habits funéraires troués, sales, maculés de ketchup; ils ont le visage enduit de pigment blanchâtre, les yeux et la bouche noircis, les dents pourries. « Nous sommes Les Damnés pis on sort de la terre! ». Le carnage s’ensuit. Des cris impossibles, des regards maladifs, un ouragan de son déchire la ville minable et dévoile l’Abysse.

Le cowboy et quelques acolytes se déchaînent, devant les morts-vivants en colère. Ils font de grands gestes, se dépossèdent de leur propre esprit et s’agitent de plus en plus frénétiquement. Le cowboy ne s’arrête que pour engloutir un demi-litre de bière à la fois. « Excusez-nous si y’a des erreurs, on est enterré depuis 10 ans. La prochaine toune s’appelle L’éveil brutal du mal ».
En adoration, les apôtres de ce culte temporaire s’agenouillent, lève les mains vers les guitares, font tourner leur tignasse comme des éoliennes sensées produire une énergie invisible, pourtant palpable. Ils tournent en rond, se bousculant, parfois violemment, ferment les yeux, rugissent. En périphérie, des spectateurs se tiennent fermement, un pied devant l’autre, et repoussent dans la tempête de viande humaine ceux qui s’en écartent par maladresse. Vers l’arrière du bar, les clients sont immobiles, hypnotisés, paralysés par ce flux sonore qui entre dans l’oreille, se rend au cerveau et se saisit de tout espace. « Y’en as-tu qui ont déjà rêvés qu’ils étaient morts? Ben moé j’tais mort pour de vrai ». Le maquillage du chanteur dégoulinait sur sa guitare. Lorsque sa bouche ouvrait, des filaments d’un mélange salive-peinture donnaient l’impression que son visage était en train de fondre.

Le cowboy et un autre apôtre sont maintenant au sol, fusionnés tels deux roulés suisses à la chaleur, par je ne sais trop quelle circonstance. Ils se relèvent, puis se laissent tomber, faisant d’eux des hybrides Hulk Hogan-Lestat le Vampire-Johnny Knoxville. Une fille a déchiré sa camisole et ses seins nus changent de couleurs avec les projecteurs, ballotent dans le chaos des fréquences, magnétisant les regards.

Dernière toune. « La cérémonie tire à sa fin. On retourne sous terre! ». Ils électrisent à nouveau toutes les ondes du « temple ». Les adorations se poursuivent, atteignant leur apogée. Saoulés de distorsion et de bière, leur transe les amène à se plier le corps en deux et à se le déplier à une vitesse prodigieuse. Lorsque la guitare et la basse laisse tout l’espace musical au clavier, les adorateurs s’étirent, lèvent les bras au ciel, font exploser leurs chakras un par un. Puis, au retour en force des cordes, ils replongent dans une sombre danse, à la recherche de leur âme qui flotte quelque part dans les lueurs multicolores.

Les musiciens déposent leurs instruments et quittent immédiatement la scène, le bar, la ville; ils retournent "sous terre". Le silence. Le retour du grand vide : le cowboy retrouve sa personne, prend conscience de son mal de cœur, son mal d’âme, la fille cherche à se couvrir les seins, l’un se découvre une douleur à l’épaule et l’autre essuie le sang qui coule d’une égratignure à la poitrine. Eux aussi disparaissent, dans la cour arrière du bar, à l’arrière d’un camion où ils vont à l’écart expier leur infamie.

Je débranche les pédales, les amplis, je roule les câbles. Je me commande un sixième Glenlivet. J’écoute les commentaires émaner naturellement des témoins. « C’est qui ces malades là? ».

Vers quatre heures du matin, me voilà sur la charmante terrasse arrière d’un semi-détaché d’un quartier respectable d’une banlieue de Montréal, grillant un petit joint de fin de veillée. Des jolis pots de fleur, une fontaine, un spa, deux chats, un char de l’année. A l’entrée, une carte d’identité de fonctionnaire, un album-photo du dernier voyage au Maroc, un avis aux abonnés du Châtelaine, un portable sur la recharge. Dans la laveuse frontale, un costume de mort-vivant tourne, tourne, tourne et me rappelle les cheveux des adulateurs qui tournaient, tournaient, tournaient et qui maintenant dorment, dorment, dorment comme des enfants.

All the pigs are all lined up
I give you all that you want
Take the skin and peel it back
Now doesn’t that make you feel better?
The pigs have won tonight
Now they can all sleep soundly
And everything is all right

-Trent Reznor, “March of the Pigs”

jeudi 13 août 2009

Déclarons-nous la guerre!

Je m’imagine en 1898, en train de m’emboucaner d’opium dans un endroit crade de Londres ou encore la tête dans une guillotine, en 1780, accusé de haute trahison contre Louis XVI.

Ah, et aussi parfois, je m’imagine dans l’avenir, sur un yacht dans le Pacifique, entouré de mafieux indonésiens et de putes thaïlandaises, buvant un martini au kiwi et donnant des ordres ridicules. « Lancez-moi cette pute à la mer! Si elle flotte, c’est une sorcière! »

Et puis là, paf, retour au présent. L’écran d’ordi. Les collègues qui pitonnent dans le bureau d’à côté. J’arrête la Grosse Fugue de Beethoven qui est à la veille de me faire péter les plombs, je prends 5 minutes à choisir dans mon interminable liste d’artistes; allons-y pour Clark – ça torche à fond (c’est dégeu dit de même) et ça réussit à m’extirper totalement du quatuor pour fax, brocheuse, étampe et imprimante.

Là, ils sont tous partis dîner au resto, mes collègues. Ils rient à dix des conneries qu’ils n’auraient jamais ris à deux et disent « hmmm, c’est bon, hein, tu as pris quoi, toi? ». Moi, tout seul à manger du pain naan et du poulet au beurre sur mon nuage douillet, je lis vos blogues en espérant que l’un d’entre vous aboutisse dans ce bureau à temps plein, qu’il y ait un peu d’excentricité par ici.

Y’a une collègue que j’aimais bien qui a déserté vendredi dernier. J’attends avec impatience que quelqu’un emménage dans son ancien bureau, juste en face du mien. J’ose espérer qu’ensemble on pourra se moquer de la madame trop et mal maquillée, qu’on pourra s’entendre qu’il n’y a pas de bonheur, seulement des joies éphémères, quelqu’un qui ne me citera pas Homer Simpson. Quelqu’un de désillusionné. Une personne vraie qui n’aurait pas peur d’aller s’emboucaner d’opium, en 1898, à Londres ou d’aller faire de l’ayahuasca dans la jungle?

Des fois je me demande si c’est pas juste moi qui est totalement à côté. Tout d’un coup que mes collègues sont en réalité tous bien plus fuckés que moi?

Y’a tu quelqu’un qui peut me montrer comment faire pour se déstabiliser dans un milieu aussi calme qu’une garde-robe de père-noël? C’est comme si j’étais un marin qui cours après les tempêtes. J’pense que la paix m’emmerde.

On se déclare la guerre, quelqu’un?

mercredi 12 août 2009

La gorge d'Amanda

Dehors, l’orage, le vent, du gris partout, pas d’étoiles, une petite nuit parfaite pour se défoncer. Encore un verre de scotch. Je m'étais saoulé comme ça toute la semaine en écrivant des nouvelles terribles, en fumant du haschisch marocain, en écoutant du Satie ad nauseam.

J’avais tout juste repris contact avec Amanda. «Salut Amanda, je suis seul depuis trop longtemps. Si tu veux allumer ta webcam, ça me ferait du bien de te voir.» Amanda vivait en Floride, à Miami je crois, mais venait de St. Augustine. Elle était d'une intelligence cinglante et se disait membre de la société MENSA, ce qui était facile à croire. Elle faisait des phrases complètes qui commençaient par une lettre majuscule et se terminaient par un point, même dans Messenger.

On s’était contactés pour la première fois sur un forum de black metal. Mon accent français la faisait craquer. Elle ne jouissait que si on l’étouffait jusqu’à voir des étoiles, avec un oreiller, ou idéalement avec les mains. Une fois, j’avais vu des bleus dans son cou. Aussi, j’avais rêvé que je la tuais, à moitié par accident, en lui disant « salope ». Quand je lui avais dit, elle avait rit et m’avait dit « tu sais bien que je te tuerais bien avant ».

-Alors, ça fait quoi, six mois, un an?
-Je ne sais plus. Je m’en balance. Je suis content de te voir.
-Dis pas ça, t’es pathétique.
-Bon alors fait chier de te revoir, j’te croyais morte.
-Pffffaaah! Pas changé.
-Toujours aussi drogué.

En moins de vingt minutes, elle exhibait ses seins blancs, se léchait les doigts, se touchait par dessus - et plus tard en dessous et puis sans - sa petite culotte. Je devais être ferme, m’adresser à elle avec dureté, sinon avec cruauté, à défaut de quoi elle feignait ne pas m’entendre et finissait par carrément se fâcher, me traiter de mou et elle fermait sa webcam et se mettait hors-ligne. Alors je lui lançais des insultes à la gueule, ça me faisait à moitié marrer, à moitié bander.

-Tu vois toujours ton… ton maître?
-Oui, je l’ai revu le weekend dernier.
-Et ton copain?
-Ça va.

Puis, elle avait déclaré que sa coloc était arrivée, qu’elle devait quitter, qu’elle devait étudier. Amanda has logged off.

Amanda se déshabille quand on sait lui demander, et en ponctuant bien de remarques injurieuses, elle ira jusqu'à se faire jouir. Elle exige de ses partenaires qu'ils soient irascibles, qu'ils la prennent violemment, qu'ils lui serrent la gorge fort, très fort. Un soir, je l’avais avertie: Amanda, quelqu'un va finir par te tuer. Elle m’avait répondu bizarrement qu’il n’y avait que moi pour s’imaginer cela, peut-être parce que j’en avais rêvé. Amanda ne jouit qu’à proximité de la mort; lorsque son esprit n’a plus d’emprise, son corps explose. L’égo doit d’abord être bafoué, violenté, réduit à néant, puis son corps mené aux portes de l’existence. C’est alors que son sexe renouvelle tout son être, dans un éclat incroyable qui la fait crier jusqu’au Canada.

En bout de ligne, seul avec ma pipe à haschich et le piano de Satie, avec mon fond d’écran et mes clics compulsifs, c’est moi qui avais joué le rôle instrumental et c’est comme si toute cette violence, toutes ces insultes, m’avaient été redirigées en pleine gueule. Pourtant, je sentais le besoin de dire merci.

jeudi 6 août 2009

La lettre de S.

J’ai reçu cette lettre, récemment, et je n'ai toujours pas répondu:


Monsieur Angélus,

Je prends la peine de vous écrire mais seule votre réponse saura me dire si je regretterai d’avoir appuyé sur « envoi » - ou peut-être ne le regretterai-je jamais. Il me semble, selon ce que j’ai pu observer et lire de vous, que vous serez sans doute ouvert à mon inhabituelle proposition.

Voilà, je m’appelle S., je rencontre le profil de l’artiste irréalisée, de la marginale qui ne trouve nid sur aucune branche que l’on a pu lui présenter. Je me répands en poèmes, en toiles immenses et en carnets noircis de joies éphémères et de haines persistantes. L’expérience de l’université m’a profondément traumatisée, analogue dans mon esprit à celle d’un camp de concentration de l’esprit ou le dogme n’est pas tellement moins présent qu’aux églises d’antan. Les étudiants étaient beaux, habillés trop cher, riaient de trop de choses. Je fréquentais des philosophes barbus, déprimants et moqueurs ou encore des geeks qui du vendredi au dimanche se recouvraient de peaux synthétiques et brandissaient des épées en duct tape. J’ai abandonné l’histoire de l’art très rapidement, dégoûtée par la prétention de celle-ci à comprendre vraiment l’art, à lui attribuer toutes sortes de motifs farfelus, à la décortiquer comme un cadavre.

Je n’ai jamais pu m’abaisser à tourner des boulettes sur un grill, ni à nettoyer des bureaux vides la nuit; j’étais absolument nulle dans les camps de jour avec les enfants, et présentement je ne trouve pas l’inspiration pour être assez convaincante dans les lignes d’appels érotiques. Bref, mon parcours professionnel, qui n’en est pas vraiment un, est un véritable marécage; le qualifier d’échec serait abusif, puisque pour échouer il faut d’abord entreprendre.

En ce qui concerne mes soi-disant talents artistiques, il faut dire qu’en ces années de talent surabondant, d’infinies tribunes et de partage maladif, tenter de pondre le neuf exige une profession de foi envers l’égo de l’artiste; et si par miracle il advient que cet égo soit capable d’authenticité réelle, ce à quoi j’aimerais croire, l’œuf risque tout de même de pourrir sur quelque canal YouTube, sur une page Myspace au design douteux. Être officiellement une artiste aujourd’hui, c’est surtout être bien entourée, connaître les bonnes personnes, les séduire d’une façon ou d’une autre. Autant faire carrière en politique. L’art ne m’a apporté qu’une façon de peut-être me séparer de moi-même, mais très certainement du monde. J’aurais dû être artiste il y a deux siècles. On m’aurait sûrement pendue, mais on trouverait mon nom dans le Robert des Noms Propres.

Je me dépeins peut-être un peu avec pessimisme, mais je suis mue par un amour sauvage de la vie, par un désir viscéral d’expériences, une envie de synthèses folles, mue par une conscience qui ne cherche qu’à exploser. Ne désespérez pas de ma condition comme tant de gens le font à m’entendre, mais pensez plutôt de moi comme d’une adolescente qui cherche toujours comment muer en femme, malgré mes trente-deux ans.

Ainsi, vous en venez à l’essentiel de cette lettre, là où vous aurez peut-être un rôle à jouer. Pourquoi vous? Lorsque je vous ai rencontré, lors de cette soirée de poésie soporifique, vous m’avez semblé être doté de beaucoup d’humanisme, n’avoir d’égo que lorsque votre prochain était dans l’erreur et j’ai eu au fond de l’âme le sentiment que vous sortiez d’une autre époque, voyageur dans le temps venu de la Chine des Tang ou des Zoulous de Chaka. Mes intuitions m’ont plus souvent trompées qu’elles ne m’ont menées à la gloire, mais lorsqu’elles se sont démontrées justes, elles rachetaient tous les écueils desquels elles m’avaient jetées. Je n’oserais pas dire que je vous connais, je suis sûre que vous avez vos monstres dans le placard et des qualités que je ne soupçonne pas, mais je n’aurais jamais lancé la question qui suit à quelqu’un que j’aurais connu.

Me prendriez-vous comme votre esclave, Monsieur Angélus? Je m’offre à vous, comme cela, à moitié parce que je supporte mal ma liberté, à moitié parce que je dois subsister. Vous me semblez un homme juste et bon, qui saurait assumer le lourd karma du maître, qui saurait conserver ma dignité tout en étant ferme sur ce à quoi je devrais user mon temps. Je ne demande ni salaire, ni même autre liberté que celle de pouvoir créer, ne serait-ce que quelques heures par semaine, par la peinture si vous le toléreriez, par l’écriture sinon. Je m’accommoderais du minimum, n’entraverais jamais votre vie privée, et obéirais avec zèle si en échange vous consentiriez à me nourrir, à me loger et à me tolérer. Je serais sous votre tutelle, et vous disposeriez de moi et de mon temps comme bon vous semble. Vous en tireriez des avantages évidents : vous emploieriez de vos temps libres à bon escient, et s’il vous vient l’envie de fonder une famille, je serais là pour la supporter, libérant vous-même, votre femme et vos enfants des menues tâches ménagère qui mangeraient autrement vos dimanches et vos soirs de semaine. Vous partiriez travailler et j’aurais préparé votre repas, j’aurais repassé vos vêtements, j’aurais même lacé vos souliers si vous l’exigeriez.

Vous demandez-vous ce qui me pousse à vouloir renoncer à ma liberté? Je vous répondrai franchement que s’il y a eu une époque pendant laquelle ma liberté m’était chère, celle-ci est définitivement révolue : je ne crois pas à la liberté. Je ne vois aucunement la différence entre tourner des boulettes, gémir au téléphone, et lacer vos souliers. Je ne m’imagine pas un travail qui ne me ferait pas sentir que je renonce à ma liberté d’une quelconque manière. De toute façon, je mettrais n’importe qui au défi de trouver nu consensus sur la nature de la liberté et dans trois mille ans, vous n’auriez pas achevé votre quête, parlez-en à Platon. La liberté, c’est l’illusion que nous faisons nos choix selon nos propres critères. L’avenir n’est pas un choix. L’avenir vient, toujours, avec son lot de conséquences imprévisibles, avec le bémol que vous n’aviez pas envisagé et qui ruine la mesure. Le temps est une chaîne qui ne me permet pas de rêver à la liberté sinon que par la mort. Et puisque je préfère pour l’instant la vie, il vaudrait probablement mieux pour moi d’assumer ma condition d’esclave.

Comment vous assurerez-vous de ma fidélité, étant donné l’impossibilité d’inscrire le statut d’esclave dans un cadre légal? J’ai pensé qu’il serait sans doute possible de vous déclarer à ma charge; je serais officiellement déficiente, incapable de me prendre en charge toute seule. Si je devais fuir, on me retrouverait sans doute, sans le sou, dans la rue, et on me ramènerait à vous. C’est peut-être une bien faible garantie mais sachez, Monsieur Angélus, que la profondeur de mon engagement envers vous dépasserait les lois, qu’elles soient civiles, morales, divines, voire cosmiques. Je me donnerais à vous et à votre famille jusqu’au bout des temps, à tout le moins jusqu’au bout du mien, ou du votre. Il vous serait bien sur possible de me congédier, dans l’éventualité ou vous jugeriez ma loyauté et mes services superflus; alors je quitterais et m’enfoncerait dans la jungle à la recherche d’un nouveau maître à qui m’offrir. L’ampleur de votre engagement envers moi n’aurait jamais à être comparable à la mienne. Vous seriez mon maître et moi votre esclave, vraiment.

Vous devez probablement mastiquer cette lettre avant d’en avaler convenablement le contenu sans vous étouffer, ce que je comprends parfaitement étant donné la portée de mon offre. Réfléchissez, mon cher Angélus, réfléchissez bien à ma proposition. Pensez aux avantages mais ne négligez pas les possibles désavantages. Imaginez-vous en train de me donner des ordres, de me corriger, de m’ignorer, en train d’expliquer qui je suis à vos voisins et amis. Vous voudrez probablement me rencontrer avant d’accepter, peut-être même avant de refuser, et sachez que n’importe quel moment sera le bon. Je suis déjà à votre entière disponibilité, encline à vous rencontrer à trois heures du matin si tel est votre désir. D’ici là, je patienterai, espérant que vous acceptiez, le cœur et l’âme vacants, parés à votre venue.

Infiniment vôtre,

S.

lundi 3 août 2009

Montreal doesn't give a shit about you

Le spectacle débutait à minuit, parce que c’est à minuit que les choses étranges se produisent, c’est connu. À l’entrée, deux cerbères jappaient aux invités d’entrer, de reculer, de bien se tenir. Le carnage s’entendait jusque dans les ruelles. Les norvégiens s’étaient beurrés de noir et de blanc pour faire peur. Ils criaient comme s’ils se faisaient découper l’anus à l’exacto, par dessus leurs guitares qui résonnaient de somptueuses mélodies belligérantes. Au bar, de sombres individus sirotaient des bières, engloutissaient des shooters, épiaient les culs et agitaient la tête, endiablés sous leurs tignasses. Les stroboscopes troublaient la perception, rendaient impossible les mouvements, irréelles les ombres et réflexions. Deux lesbiennes se niquaient dans un coin sous une black-light, effoirées, écarquillées, ouvertes comme des fleurs sur la causeuse de suède qui avait autrefois été rouge mais que le temps et la fumée avaient rosi. Devant la scène, c’était la guerre. Un type ressortit du champ de bataille le nez, la face en sang.

Je passai tout près du bar, fit un clin d’œil à l’employée que je connaissais bien. Elle me fit signe d’y aller. J’écartai l’épais rideau gris qui donnait sur la section VIP (en tout cas, c’est comme ça que je l’appelais, mais c’était juste une pièce mieux décorée et à l’écart). Sur les divans, confortables, mes amis se passaient un joint.

- Angélus! Te voilà. On se demandait si tu allais venir.
- Vous aviez raison de vous le demander, j’ai failli ne jamais me sortir de ce bain.
- Tu prenais un bain?
- Ben oui, imbécile, un bain, avec des chandelles à part ça.
- Avec des chandelles?
- Tu ne viendras quand même pas dire que des chandelles, ça améliore pas l’ambiance! Alors oui, des chandelles, et je lisais la l’autobiographie de Carl Jung. C’était passionnant d’ailleurs.
- Bon ben ça va te faire du bien te changer les idées. Tiens.

Deux heures plus tard, j’étais dans des nuages de cognac et de pot, fondu dans le divan de cuir au milieu de soixante terreurs-de-la-nuit avec des t-shirts de Mayhem et d’Emperor. Le show était fini, les norvégiens nous avaient rejoints. Ils parlaient un anglais digne, tout à fait suffisant pour exprimer la complexité de leurs pensées. J’éprouvais un plaisir particulier à les entendre discourir en norvégien, m’imaginant des vikings bâtissant de grands châteaux de bois, des rites anciens à Loki, à Odin. Ils se parlaient entre eux, semblaient se moquer d’un peu n’importe quoi, jugeaient, fumaient, buvaient.

- So, guys, I didn’t watch the show, but I could tell, you guys know how to set the crowd on fire, dis-je pour être poli.
- We don’t give a shit about the crowd to tell you the truth, me répondit le grand blond, au-dessus de ça, lui, la célébrité.
- Well, thanks to them you’re in Montreal tonight.
- We don’t give a shit about Montreal either.

Ils s’esclaffèrent.

- It’s ok. Montreal doesn’t give a shit about you, kids. Fair deal, huh?
- Fuck you.
- Angélus, y’ont quand même rempli le bar, intervint Simon, un metalhead qui ne les connaissaient même pas avant de voir le poster.
- Ca aurait pu être n’importe quel band, n’importe quel, j’te dis. Any fucking band could have filled this bar with enough posters, costumes and loud sound, ajoutai-je à leur attention. And any fucking white belt in karate could smash your Marilyn Manson pussy faces.

Ils perdirent rapidement leur attitude d’anges de la mort venus libérer la plèbe de l’étreinte du quotidien. Il fallait bien que quelqu’un pète leur balloune avant qu’ils ne demandent à être crucifiés. Quinze minutes plus tard, ils sont partis rêver aux montréalaises dans leur chambre d’hôtel au papier-cul rugueux comme du papier sablé.

That’s right. Montreal doesn’t give a shit about you.

samedi 1 août 2009

Farewell

Non, je n'étais pas seul pour dîner.

J'étais l'autre soir assis seul sur une terrasse. La madame assise avec son mari ne cessait de lancer des regards sur ma solitude. J'avais avec moi mon moleskine, un pousse-mine et une pinte de Griffon rousse, rien de bien choquant. Chaque minute, je voyais ses deux jolis yeux bleus se détourner de son mari, alors que lui regardait les autos péter dans la rue, et se poser sur moi.

Un moment donné, je me suis tanné, j'ai fait un sourire à la madame, pour lui dire genre "oui, oui, j'te vois me voir" et là elle a retourné son regard, comme si je lui avais fait un affront terrible. Elle n'a plus osé regarder dans ma direction après. L'avais-je charmée?

J'ai trouvé ça rigolo, un peu risible, alors en quittant, j'ai dit au serveur que j'allais payer la facture de cette dame. Non, pas celle de son mari. Juste la sienne. 24,73$ plus le tip. Et je suis parti, incognito.