mercredi 16 septembre 2009

Petit portrait d'automne universitaire

Sur le campus, en attendant le début des classes, le moment où seront dévoilés les visages des professeurs, leurs voix, leurs airs, leurs syllabus, les étudiants se pavanent, avec un portable d’une main, un iPod dans l’autre. Sous les arbres qui rougissent déjà, une jeune femme en robe à carreaux s’est allongée avec une édition jaunie des Fleurs du mal. Un groupuscule de première année s’exclame en arabe; ils rient vigoureusement, zyeutent. Une nymphette, sur le bout des pieds, consulte le panneau sur lequel est illustrée la carte du campus, cherche un pavillon, quarante-cinq minutes à l’avance. La fébrilité est palpable, jusque dans les imposantes marches de l’édifice, où elles explorent ce nouvel ouvrage écrit par un collègue de leur prof, fraîchement sorti des presses, qu’elles devront lire, étudier, qu’elles vendront éventuellement à une bouquinerie adjacente au campus.

Dans le pavillon des arts, on donne des cours de danse sur plancher de bois franc. Les plus laids ont compris qu’ils devraient prendre des moyens concrets pour se donner un peu de crédibilité et se sont inscrits, ont maintenant la chance d’être jumelés aux athlétiques jeunes femmes en pantalons moulants. Leurs tentatives échoueront, pour la plupart; ils n’aiment pas la danse, ils désirent surtout leurs cavalières. Près des gymnases, une fille aux cheveux frisés et au cul d’athlète échange des paroles fougueuses avec un jock noir, encore tout en sueur. Elle n’apprécie pas se faire larguer pour une partie de basket. Il n’apprécie pas se faire admonester devant la plèbe. Ils semblent se détester.

Ils sont attroupés près des deux portes des salles où se donneront leurs cours, en attendant sagement que les classes précédentes terminent. Certains font connaissance, d’autres jouent au solitaire sur leur téléphone, d’autres encore se racontent comment ils s’en sont tirés au dernier semestre.

Il fait noir lorsque les cours terminent. Des torrents d’élèves se dispersent autour du campus. Une armée d’étudiants prend d’assaut le terminus d’autobus, où du jazz américain résonne par les haut-parleurs municipaux. Une pluie d’automne impose aux plus prévoyants de sortir leurs parapluies, de les déployer comme des fleurs au printemps, et aux moins avisés de se rapatrier sous les auvents et autres refuges de la jungle urbaine. La rue mouillée reflète l’arc-en-ciel de néons et de pixels publicitaires, et dans les vitrines, des mannequins tellement sexys qu’on les baiserait flagornent les passants, leurs disent voyez comme vous êtes mal habillés.

Une big fat mama parvient à se hisser à bord de l’autobus, trimbalant un nombre ahurissant de sacs de plastique – et ce n’est pas qu’elle ramène son épicerie, ni des achats récents, non, simplement des sacs bourrés d’on-ne-sait-quoi, des morceaux de cadavre peut-être. Tous les passagers sont absorbés dans leurs pensées : rêves déchus, factures impayées, grand-mères malades, dégâts d’eau dans la cave, nostalgies cruelles, frustrations résurgentes. Une universitaire au visage de bitch embarquée au terminus soupire toutes les trois minutes. Elle débarque devant l’hôpital, sans parapluie. Un quinquagénaire s’est endormi, enfoncé dans son foulard.

Dernier arrêt. Tout le monde descend – moi et l’autre, un jeune qui porte ses verres fumés jusque dans sa chambre à coucher. Comme il sera bon, le verre de porto, au chaud, au sec, après une douche d’eau brûlante. Automne, je t’aime, toi et ta pluie, tes couleurs et ton aura d'introspection.