samedi 17 octobre 2009

Photos de l'époque victorienne

Un foulard pour t’étouffer, pour te l’enrouler autour du cou, pour te faire vriller et te manier comme un yoyo. Un foulard pour nous attacher ensemble par le cou, par les cuisses, ou en soixante-neuf. Des bottes, des grandes bottes jusqu’aux genoux que tu me lances à la tête, avec lesquelles je te frappe dans le dos, des bottes à aiguilles que tu m’enfonces dans l’orbite, des bottes dans lesquelles je jouis quand t’es partie. Ma ceinture avec laquelle je te rougis les fesses, avec laquelle je te lie les chevilles, dans laquelle tu mords quand je te prends par derrière. Des ongles que tu m’enfonces dans les joues pendant que tu cries, me crevassant la chair dans des effervescences de sang. Une coupe de vin que tu fais éclater de ta paume sur mon torse; mon nombril qui se remplit d’alcool, ta langue qui lèche tout – le nectar, la vitre, les moumoutes de laine. Tes cheveux noués à la tête de lit pendant que je te mords les orteils, avec lesquels je cache ta face, que je te fais bouffer, que je retrouve dans mes sous-vêtements le lendemain. Tes lèvres que je fais éclater comme des mûres entre mes dents, tes genoux qui m’enfoncent les couilles jusqu’aux poumons. Ces putains de minous obèses qui viennent se frotter le museau sur mon front pendant que tu t’enfonces un manche de marteau dans la chatte. Le moteur de la scie à chaîne sur lequel tu t’assieds parce que t’aimes son ronronnement, ses heurts inégaux et répétitifs, l’odeur d’essence, vrouiiiing, vrouiiiing, oh yes, again. Des mouchoirs que je te fourre dans le sexe pour t’éponger. Ces élastiques autour de tes cuisses, que tu me demandes d’étirer au max, de les faire claquer le plus fort possible; ces bleus que tu tripotes en me demandant combien de temps ils vont prendre à guérir, si tu seras ok pour mettre un bikini pour ton voyage à Santa Barbara chez ta cousine riche, ou si les sauveteurs vont penser que quelqu’un te bats à coups de deux par quatre. Ta marmite de ragoût que tu me renverses dessus parce que je t’ai dis que c’était trop salé; la pelle que j’utilise pour nettoyer le plancher et pour t’en catapulter une pelletée encore chaude sur les fesses. La serviette de douche rouge dont t’as mouillé le bout pour me le faire claquer partout sur le corps, pris au dépourvu, nu dans le bain rempli d’eau fumante, et moi bandé comme un taureau qui t’enfourche sans pitié après t’avoir fait tomber dedans toute habillée.

***

Le soir quand j’appelais chez toi et que tu ne répondais pas, je perdais l’envie de faire quoique ce soit. Je gardais le combiné dans mes mains quelques instants, espérant que tu étais dans la douche ou en train de rentrer du bois de chauffage, je soupirais en voyant que tu ne rappellerais pas. Je relisais des classiques en hésitant à te rappeler, pour ne pas que tu voies sur ton afficheur que j’avais insisté. Je me demandais quel endroit s’était enjolivé de ta présence, qui avait droit à tes volcans, comment tu étais habillée, si tu avais mis ta robe lignée des sixties, si tu avais mis le chapeau que j’aimais t’enfoncer jusqu’au dessous des yeux avant de te pousser sur le divan. Je ne savais plus quelle musique écouter, je me disais Angélus you’re in love.

Tu travaillais dans un restaurant réputé, par plaisir, non par nécessité, ton français était exécrable, mais ton charme mythique. Tu louais une maison canadienne trop grande pour toi seule, dans les Laurentides. I wanted something pittoresque. Je passais des semaines entières chez toi. Je m’installais près du poêle, et pendant que je rédigeais des lettres pour le bureau sur mon portable, tu venais me foutre des boules de neige dans le cou et tu me crachais dans la gueule pendant que je sursautais comme un dingo. Pendant que tu lisais des thrillers policiers, je te versais de la crème glacée entre les seins et je t’étouffais dans ta couette jusqu’à ce que tu paniques.

On allait skier, et avant que tu ne te pètes la gueule sur un des ces sapins givrés, tu disais qu’ils ressemblaient à des pâtisseries. On allait se cacher dans les sous-bois et on en ressortait les joues encore plus rouges, sous les regards inquisiteurs de parents qui enseignaient le chasse-neige à des enfants qui chutaient tous les cent mètres. Je voulais te convaincre de sauter en bas du remonte-pente et tu avais dis ok, let's do this. On allait nager à la piscine et tu pinçais les fesses des jeunes plongeurs, ça me gênait à mort. Tu trouvais Jean Chrétien kinda sexy. On avait fait la tournée de tous les putains de sex-shops en ville, tu les visitais comme on visite un musée d'art, et tu demandais au commis s'il y avait une salle d'essayage pour les vibrateurs, no? in L.A. they let us try before we buy.

Tu riais noblement, généreusement, mais toujours un peu trop fort, comme le font les riches, quoi. Tu me disais d’arrêter de me poser trop de questions, life is too short, tu me foutais toujours des claques au visage avec un sourire aux lèvres, ça me donnait envie de d’en foutre une à mon tour, je me retenais parce que t’étais trop belle, mais t’aurais aimé ça. Tu disais look at this chick, I’d do her, puis tu lui faisais un clin d’œil. Tu t’insurgeais quand je te disais que je n’aimais pas Woody Allen, tu me battais avec les coussins du sofa, puis tu finissais par glisser ta main dans mon pantalon et tu disais this calls for a good lesson, filthy barbarian.

Tu m’as téléphoné, tu m’as dis I’m going back to L.A., I’ve had enough of this place, the snow, the cold, the freakin’ French accent, and you know, I miss the beaches, the sun, the good ol’ Spanish accent. I’m leaving at the end of the month. You wouldn’t happen to know someone who would rent this house, would ya? Nous nous sommes revus trois fois, avant que tu ne repartes. Une banale soirée au cinéma pour un film de zombies, terminée chez toi à se faire des massages en écoutant du Pink Martini. Une bacchanale paradisiaque avec tes amies et les miens dans mon loft; pendant que Rafaela et Antoine se niquaient dans le coin, je t’ai dis I’m gonna miss you. Tu m’as répondu : Of course you will. Tu avais les yeux humides, moi, la gorge serrée. La dernière fois, nous avons fait l’amour comme des nouveaux mariés, puis je suis allé te reconduire à l’aéroport et sans exagérer les adieux, je t’ai laissée partir.

J’ai pleuré comme je n’avais pas pleuré depuis des années. J’ai frappé dans mes oreillers, les ai lancés sur le mur, je me suis écrasé les mains dans la face, je me répétais que j’étais un lâche, t’aurais dû la retenir, lui dire I love you, please don’t go ou I’m going with you, if you want me to, cause I love you. Mon ami Louis me disait Angélus, oublie ça, Vicky, c’est une folle, elle aurait fini par te tuer, ou c’est toi qui l’aurais tué. T’as vécu le genre de truc qu’il faut vivre avec ce genre de fille, une courte mais intense histoire. Le pire, c’est qu’il avait sans doute raison.

De toi Victoria, il ne me reste plus que ces photos mentales et une lettre que tu m’as envoyée pour me dire que tu t’étais trouvé un appart dans West Los Angeles, que tu ne t’ennuyais pas de l’hiver, une lettre qui me faisait sentir comme un bonhomme de neige qui fond au soleil de Malibu.