mercredi 19 octobre 2011

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vendredi 11 mars 2011

La pleine lune de l'apprenti

Il était rare que le village soit aussi bondé de gens qu’en la semaine du festival de la guitare qui se déroulait fin juin, et qui attirait des quatre coins de la province apprentis, amateurs et pros en plus des jeunes, des curieux et des touristes. Pendant quatre soirs, le concert des coyotes, des criquets et des hiboux était enterré par celui des guitares électriques, des batteries et des basses. Ma mère se révoltait et répétait chaque année : « Pourquoi, pour l’amour du Christ, faut-il qu’ils choisissent notre village pour leur party du diable! Pas moyen de dormir! Richard, il va falloir que tu en parles au conseil, là, ça n’a pas de bon sens ». Elle m’interdisait de m’approcher de ces messagers du diable, de ces âmes perdues qui venaient corrompre les bonnes gens. Mais depuis mes seize ans, avec la complicité de mon père, et sous le prétexte d’aller passer la nuit chez mon ami Hugo, j’échappais à la censure maternelle, plongeais dans le stupre et allais me faire crever les tympans devant ces haut-parleurs annonciateurs de l’apocalypse.

Hugo et moi buvions de grandes gorgées de rye qui nous chauffait l’esprit autant que le corps, et nous nous faufilions jusqu’au devant de la scène, coincés entre des types aux cheveux longs qui jouaient de la air guitar. Là, toutes inhibitions tombaient et nous nous sentions soudainement invincibles. Les notes cognaient, glissaient, perçaient, flattaient. Je vibrais de tout mon corps avec tant de verve que mon âme semblait déchirer les parois de ma peau et s’envoler à quelques mètres au dessus de la foule. Elles s’emparaient de ma conscience et pendant de longues minutes, j’oubliais la scène, la spectateurs, Hugo, mes parents, ma sœur, j’oubliais tout; j’étais dans un univers autre, un univers plus réel, plus coloré. Je flottais si loin dans les limbes de mon esprit que lorsque le guitariste terminait son numéro, il fallait qu’Hugo me secouasse pour me sortir de ma torpeur,. « T’as entendu ça, Hugo? Celui-là il sait jouer! C’est incroyable, on dirait qu’il joue toujours la note parfaite! » Hugo répondait en me pointant du doigt une brunette qui portait des shorts courts. « Ça c’est une note parfaite, mon vieux! »

Cette année là, la deuxième où je pus déjouer ma mère et aller au festival, nous allions, après le spectacle, camper près de la rivière, sur le terrain de la tante d’Hugo, à quelques minutes de marche de la scène. Il faisait chaud et la nuit était sombre; la lune n’était qu’en quartier. Son cousin Louis-Paul, notre ainé de trois ans (il devait avoir vingt ans) nous avait accompagné et avait amené sa guitare. Nous avions englouti toute une bouteille de rye et nous titubions joyeusement jusqu’à nos tentes, les oreilles encore engourdies. Nous allumèrent maladroitement un feu de camp et nous fumèrent des cigarettes en se racontant des niaiseries. Nous fantasmions à voix haute sur les filles du village. « Y’a un de mes amis qui a vu la petite Tanya en train crosser le gros Didier dans la grange abandonnée. Si elle accepte de crosser un gros laid de même, elle accepterait surement de sucer des beaux gars comme nous autres! ». Louis-Paul aimait toujours en rajouter. « Tous en même temps! »

Je brûlais d’envie d’essayer de jouer avec la guitare de Louis-Paul et, comme je ne cessais de fixer le coffre, il le devina et m’invita à l’essayer. Je n’avais jamais tenu un instrument, à l’exception d’un harmonica. Eut-on placé entre mes mains un nourrisson, je ne me serais pas senti moins maladroit! J’arrivais à faire résonner trois cordes sur six. Les trois autres grinçaient et produisaient un bzzzzz agaçant qui m’attirait les huées d’Hugo. Louis-Paul plaçait mes doigts sur le manche. « Vas-y ». Rapidement, je retins cinq accords. Une heure plus tard, malgré la douleur aux doigts, je les enchainais sans trop de mal, arrivant une fois sur deux à produire une harmonie bien définie. Louis-Paul sortit une bouteille de irish whiskey, mais j’étais si concentré sur l’instrument, que je refusais de prendre ne serait-ce qu’une seconde pour en boire une gorgée. « Hé, sais-tu que t’es pas pire pantoute, mon JS! » J’étais fier. Il me semblait que ma tentative de jouer Hey Jude n’était pas un échec lamentable; au contraire, Hugo et Louis-Paul se mirent à en chanter les couplets!

En fait, mon interprétation se vit être un succès puisqu’elle parvint à attirer deux filles à notre campement. Elles arrivèrent par le bord de la rivière, visiblement un peu saoules. L’une était d’une beauté épique. J’arrêtai de jouer net.

« Hey boys! We heard the guitar and we thought we’d come and join the party! Gosh! We expected a lot more people. You sounded like you were 15!»

« No, no! Don’t stop playing! »

Nous ne comprenions pas un mot d’anglais.

« Welcome, welcome les girls. Come party. Un peu de whiskey? C’est quoi vos noms? ».

Hugo me faisait des yeux ébahis, comme s’il croyait rêver. Moi, avec la guitare entre les mains, je restais calme comme un arbre, mais n’osais rien dire. Louis-Paul s’était transformé en animal. Il dévorait des yeux la belle américaine.

La plus jolie, Debbie, était la fille de l’un des techniciens en tournée avec John McLaughlin. L’autre, Joanna, c’était son amie. « This is only the second show, but we’re going to spend the whole summer on tour with my dad. It’s so awesome, we’re gonna visit the four corners of good ol’ America! » Hugo se mit à jaser plus intimement avec la grassouillette; Louis-Paul offrit un massage à Debbie. Me sentant un peu à l’écart, j’écrasai mes doigts sur le manche de la guitare, et avec mes doigts, je fis résonner doucement les cordes, replongeant dans l’hypnotisme de leurs vibrations. « C’est bon, ça, JS, continue comme ça, doux doux, les filles vont aimer ça… Non mais on est pas chanceux? » me dit Louis-Paul, sachant pertinemment que les filles ne décodaient pas ses paroles.

« Shall we go in your tent, Hugo? I’m a bit cold. »

Il devait pourtant faire encore vingt degrés. Mais l’argument persuada Hugo; ils disparurent aussitôt derrière la fermeture éclair de la tente qui, nous nous en rendîmes bientôt compte, isolait mieux la chaleur que les sons. J’étais inconfortable. Je tentais de me concentrer à produire des arpèges – et j’y arrivais plutôt bien! J’avais ça dans le sang!

Bientôt, Louis-Paul invita Debbie à aller s’étendre dans la tente. Elle accepta. Je ressentis une certaine jalousie, mais me repliai sur les cordes de la guitare. Hypnotisé par le kaléidoscope des braises, je glissais mes doigts endoloris sur le manche, de plus en plus habile, osant même m’imaginer sur scène, avec à mes pieds des milliers de jolies filles comme Debbie.

Ah! Debbie. Pourquoi Louis-Paul et pas moi? Louis-Paul était plus vieux. Moins timide. Je l’enviais. J’eus soudain l’envie de mettre sa guitare au feu et de m’en aller en courant. J’imaginais ses beaux petits seins, ses cuisses, et le reste. Sa respiration dans mon cou. La douceur de ses lèvres. Sa main, ses cheveux.

Elle sortit soudainement de la tente, l’air insultée. Elle flanqua un coup de pied dans le sac de couchage avant de refermer la fermeture éclair de la tente. « Dork! » Elle se retourna, tassa du doigt une mèche de cheveux et me fit un sourire craquant.

« You stopped playing? »

« Tu veux que je joue? »

Elle ne répondit rien. Le feu moribond projetait des ombres irrationnelles sur son visage de fée.

« Fire’s dead. Just like your friend. »

« Ya. Trop saoul? »

« Drank too much. »

Elle ajouta une buche dans le feu.

« So. How long have you been playing? »

« Deux heures, maybe. »

« Two hours? You’re pretty damn good for a noob! A few years and you’re gonna be on stage! »

Nous nous comprenions que partiellement. Tout ce que j’avais envie de lui dire, c’est qu’elle était belle.

« Play something for me? »

J’essayai de produire les plus belles harmonies, tentant de retrouver des accords qui plus tôt m’avaient envoutés. Mais j’étais encore maladroit. Les grincements réapparurent. Bzzzz. Grrzzzz.

« Sorry, not too good. »

« Doesn’t matter. Go on. »

Je pris une grande inspiration et tentai à nouveau de faire résonner les plus belles notes qui soient. Je voulais qu’elle entende comment je la trouvais splendide. Bzzzz. Grrzzzz. Rien à faire. Je m’impatientai. Je fis résonner toutes les cordes, à vide. Un grand coup furieux.

« Hey what’s up? »

« Je ne peux pas vraiment jouer », dis-je, « mais Debbie… you’re so beautiful. »

« Aww. That’s sweet. Thank you. »

Elle s’approcha de moi. Je crus qu’elle allait m’embrasser. Je respirai les arômes du paradis. Et celui de l’alcool. Elle posa ses lèvres sur ma joue, au carrefour de mes lèvres, puis se dégagea rapidement et se leva.

« Gotta go. Do you mind telling Joanna I went back at the camper? »

« No. » Les criquets. Elle s’en allait? Après un seul petit baiser?

« Ok, Romeo. Thanks for playing. Oh : Add me to your Facebook? Debbie Richards. »

« Ok. Bye beautiful Debbie. »

Elle ricana, tourna le dos, et disparut près de la rivière.

Quand je posai la guitare dans le coffre, je remarquai qu’elle partageait les courbes d’un corps de femme. Où sont les cordes du corps d’une femme, comment faire vibrer cet instrument fabuleux? Si mes doigts se promenaient naturellement sur le manche d’une guitare, sauraient-ils découvrir avec autant d’aisance les mystères de la chair? Cette fois, me dis-je, je n’avais ni la complicité de mon père, ni les instructions de Louis-Paul… Je devais oser par moi-même. Je levai les yeux au ciel et perdit pendant quelques secondes mon regard dans le croissant de lune. Comme frappé par la foudre, je me mis à courir comme un lutin. Je longeai la rivière, désespéré, hors d’haleine, maladroit, encore un peu saoul.

« Debbie! »

Elle était accroupie près de la rivière. Elle s’envoyait de l’eau dans le visage.

« Hey what are you doing here? »

Je ne répondis pas. J’ôtai me chemise.

« What are you doing? »

J’ôtai mes pantalons, puis mes bas. Je pris ma course et sautai dans la rivière.

« Come on! »

« Water’s too cold, silly! »

« Come on! It’s good! No cold! »

Je sortis de l’eau, trempé. Je pris sa main. Dans mon meilleur anglais je lui dis : « If you want fun, follow me. » Elle ôta ses bas, ôta son chandail, puis sa brassière, me révélant des petits seins blancs et rouges qui mirent feu à mon âme comme au cœur du soleil. Il fallait me rafraîchir.

« Un, deux, trois, GO! »

Après s’être éclaboussés, après avoir lutté, après nos quelques courses, nous nous étions embrassés, sous l’eau, puis sous le quartier de la lune. Elle mordillait ma lèvre. Je serrais son cou. Elle écrasait ses ongles dans mon dos.

Puis, en silence, calmes comme le ciel, nous dérivions à la surface de la rivière, fixant le croissant de lune. Nous nous tenions par la main, en silence.

« Have you ever had sex? »

« No. »

« Why not? »

« You not here! »

Elle ricana.

« If you want to have fun, follow me. »

Elle disparut sous l’eau. Je fus traversé de frissons. Elle sortit de la rivière et tordit ses cheveux. Puis, elle ôta ses shorts et me les lança au visage. Elle retira sa petite culotte. Je nageai pour la rejoindre, et sur la berge, nos corps nus firent une musique que mille guitares n’auraient su égaler.

Et jusqu’au matin, la lune pour moi fut pleine.

Debbie disparut le lendemain matin avec Joanna. Pendant l’été, je travaillai d’arrache-pied et à l’automne, je pris toutes mes économies et m’achetai une guitare que ma mère refusa de voir entrer dans la maison. Je pratiquais de longues heures dans l’atelier de mon père. J’espérais secrètement, sans espoir, voir la porte s’ouvrir et apercevoir à nouveau miss Richards s’approcher. Et chaque fois que je rangeais ma guitare dans son coffre, je contemplais pendant un moment sa forme féminine et me rappelais les hanches de ma première conquête. Puis, je partais en courant, enthousiaste, prêt à apprivoiser la terre entière.




mercredi 29 septembre 2010

L'amour est ma neige

l'automne rougit
du câlin des canicules
au calcul du calendrier
l'homme rugit des prières

à la surface des lacs, des visages inquiets
des intempéries de phalanges orphelines
faire des anges de la farine
des pâtisseries pour le banquet

l'amour est ma neige

dimanche 12 septembre 2010

Libérer le trésor

Mon père voulait nous emmener voir un terrain, près d’une route principale, face à la rivière, situé un peu en hauteur. Pour y accéder, il fallait emprunter un petit chemin de gravier qui grimpait le petit escarpement dans une demie ellipse imparfaite prenant racine au bord de la route, longeant l’épaulement du terrain jusqu’en son sommet.

Quand je le visitai pour la première fois, l’espace était à l’abandon. Une maison centenaire tenait encore, par je ne sais trop quel miracle, à côté d’une vieille grange de bois ratatiné. L’herbe était haute, et nous devions tasser les fleurs de bardane pour faire notre chemin. Une dizaine de carcasses de vieilles voitures rouillaient en silence, entre les herbes. Nous entrâmes dans la maison par le trou laissé par un mur qui s’était effondré. Un escalier incomplet menait au deuxième étage, dont le plancher évoquait un casse-tête inachevé. Des haillons poussiéreux pendaient encore dans la garde-robe.

Les ruines baignaient dans une atmosphère sordide de misère, sinon de malédiction, amplifiée par l’odeur de pisse qui envahissait l’air. Comme j’étais enfant, la maison me laissa une forte impression; un mélange de stupéfaction, de peur, et de curiosité que je savais impossible à combler. Qui avait pu vivre ici? Pourquoi avoir abandonné la maison? On me raconta, des années plus tard, qu’un réseau de trafiquants de pièces de voitures volées avait jadis fait ses affaires sur ce terrain. Surement l’avait-on démantelé, et les bandits avaient été emprisonnés…

Mon père avait manifesté l’intention d’acheter l’endroit, et je me demandais ce qui pouvait autant le motiver, hormis la vue sur la rivière. Je craignais que cela ne se réalise mais ne dévoilai rien de mes objections.

Tout près de la maison, se tenait une grange qui avait à peine mieux survécu au passage des ans. Mon père m’y conduit, curieux, tout comme moi, de voir ce qui s’y trouvait. En y entrant, mes craintes se dissipèrent soudainement en traversant le nuage de poussière que souleva l’immense porte en s’ouvrant. J’eus l’impression de faire un saut dans le temps.

Il y avait un vieux pneu de tracteur craquelé, des bouteilles de bière vides, une chaine, et une multitude d’autres objets sans intérêt. Mais tout près du mur, au fond, mon père trouva un petit trésor. « Viens voir, vieux loup. » Sur le plancher, on avait abandonné là une caisse remplie de vieux trente-trois tours. « Papa, on dirait de la musique de cowboy. » Il s’agissait d’une collection de chanteurs country, probablement tous tombés dans l’oubli. Mon père pris une pochette, en sortit le disque, prit son élan et fit voler le disque comme un frisbee. Il éclata en comme un feu d’artifice sur le mur de bois. Sur le coup, je fus étonné, presque insulté pour les cowboys, mais ce sentiment fit place à l’amusement lorsqu’il me remit l’un des disques et m’invita à faire de même. Je l’envoyai voler dans les airs de toutes mes forces, et j’éprouvai une vive fierté à voir les morceaux s’éparpiller sur le plancher de ciment. Si, au départ, c’était le plaisir bête de détruire pour détruire qui me fit cet effet, au fur et à mesure que nous faisions éclater ces vinyles en ricanant, j’eus ensuite l’impression de libérer ces cowboys, cette musique emprisonnée dans le plastique, de mettre un terme à ces années poussiéreuses d’immobilisme et d’oubli. Enfin, après des décennies, quelqu’un était venu et avait conjuré leur sort. J’étais soudainement devenu un héros qui par sa puissance, faisait voler la musique prisonnière et la redonnait à l’éther. J’imaginais les sons qui, libérés de leur support, pouvaient maintenant résonner de nouveau; les cowboys qui pouvaient désormais reprendre la selle et disparaître à l’horizon, entre les cactus.

Nous fîmes éclater tous les disques et l’émotion s’estompa. Puis, je ressentis une certaine mélancolie à voir les fragments disséminés dans la vieille grange. « Allons-y, fiston ».

Un après-midi, alors que j’étais à l’école, ma mère dispersa de l’essence dans les ruines de la vieille maison et de la grange et y lança des allumettes. Les bâtiments s’effondrèrent dans un brasier immense attirant les pompiers de la ville, qui ne manquèrent pas de gronder ma mère, sous le regard amusé de mon père. Elle s’en tira sans accusation de pyromanie, ce qui me surprend encore à ce jour. Mes parents firent bâtir, sur le terrain, une maison canadienne blanche, à la toiture verte. Ils couvrirent le terrain de pelouse. Ils plantèrent des rosiers, un bouleau, quelques sapins. Ils aménagèrent ma chambre à l’étage, à mon grand bonheur, car j’eus accès à l’un des pignons, d’où je pouvais braquer mon télescope vers les étoiles. Je passai une bonne partie de mon enfance et de mon adolescence au sommet de cet escarpement qui donnait sur la rivière, dans cette maison bâtie par-dessus ces souvenirs.

À quelques mètres du bord du garage, là où il n’y avait pas de gazon, mais encore de l’herbe haute et de la bardane, se trouvaient encore les fondations de la vieille grange. Le plancher de ciment subsistait toujours, transpercé par la végétation. J’allais y jouer régulièrement, courant après les couleuvres, abattant les plantes d’un bout de bois, comme pour préserver quelques années de plus ce qui restait de la grange. Tous les printemps, quand la neige fondait, je me faisais un réel plaisir à redécouvrir ces ruines. Mais chaque fois, je me souvenais les cowboys et leur musique, je revoyais éclater le vinyle, et je revivais un peu l’émotion particulière que j’avais ressentie la première fois que j’avais mis le pied sur ce terrain.

dimanche 25 juillet 2010

Le soupire étouffé

Un soleil bien jaune, d’été, comme de la moutarde dans la piscine du ciel. Une publicité de Corona pour ne pas cramer dessous. Des yachts de millionnaires, leurs buttes de coke, leurs princesses en strings rose bonbon. L’odeur de coco contrefait de la crème solaire, de gaz propane, de fleurs qui baisent avec les abeilles. Les jeunes mettent un kayak à la rivière, les vieux travaillent leur putt. Des nouveaux mariés, leur famille en pâmoison, les ados écœurés, les photos, les curieux. Des chevaux qui plient le cou comme des cygnes, twistés aux vise-grips de la domestication impérialiste – insurgeons-nous, frères citoyens, appelons la PETA, la SPCA, ou le KKK! Leurs pommes de route qui décorent le chemin où une madame à chapeau violet trimbale tant bien que mal ce gros derrière gélatineux qui contribue à la richesse de nos putes.

Deux amoureux qui s’embrassent sur un pont, à l’ombre d’un érable gros comme leur espoir. Ils ont quinze ans, ils sont amoureux. Elle le regarde avec dans les yeux le diamant qu’elle décèle en lui. Le sentiment qu’il y a quelque chose comme le vrai et que cela est maintenant, donc toujours; un toujours qui abandonne tous les possibles, qui n’a au cœur que le maintenant d’amour, le sublime moment.

La fraîcheur du vent ranime le goût de l’océan, le cœur du parapentiste; l’âme est une voile. Des chapelles autrefois sacrées, maintenant musées. Le dieu chassé, accusé, à tord ou à raison, du vide de soi, du besoin de l’autre, de l’autre fait martyr, du soi comme raison d’être.

Le soupire étouffé.

La terre estompée sur les pantalons du jardinier. Le silence-qui-n’en-est-pas-un de la forêt : les fougères, les étangs, les branches, la mousse, les pieds qui écrasent la rocaille du sentier. S’imaginer vivre dedans tout nu tout le temps tout en harmonie avec le tout. Enkidu je t’offre mon corps. Avoir du poil. Bouffer les baies cuites, les lièvres crus. Adieu béton. Adieu pitons. Renier même le feu.

La motocyclette et son dinosauresque grognement. Un prédateur des jungles urbaines. Son conducteur a des couilles de ciment. Sa gonzesse, bien roulée, est tout en graffitis. Ils rejoignent des amis. Ils rigolent entre deux gorgées de bière. Ils sont dotés d’une sagesse que craignent les professeurs d’écoles et les hygiénistes dentaires. Ils sont capables de dire fuck you à n’importe qui.

La solitude de l’ours polaire. Contempler sa vie comme si c’était les étoiles. Là-bas, quelque part… il y a ceci, cela, il y a au moins quelque chose. Sortir sa griffe, la planter dans le ciel et déchirer la Voie Lactée d’une épopée nouvelle. Trancher.

La salive d’un chien. Salut toi. Héééé! Hooo. Gros toutou, hein, oué, oué. Il aime les mains humaines. Elles sont toutes siennes. Ah! si j’avais toutes les mains du monde…