vendredi 18 septembre 2009

Baiser des folles

J’avais toujours rêvé de baiser une femme qui aurait tué un homme ou qui aurait braqué une banque, une criminelle, une vraie folle, une cinglée comme on voit dans les films, intimidante parce qu’à la fois cruellement sexy mais surtout dangereuse. Je m’imaginais parfois avoir été un esclave noir du dix-septième siècle dont la jeune maîtresse aurait été une diablesse de cochonne, une obsédée sans bornes qui aurait eu besoin de se faire remplir de foutre aux demi-heures, asséchant une paire de testicules après l’autre. Les démentes m’excitaient, c’est vrai – si on exclut celles qui bavent, celles qui entretiennent des conversations avec des fantômes et celles qui se prennent pour Joséphine de Beauharnais -, je ne savais trop pourquoi, peut-être parce qu’elles me déstabilisaient, me faisaient oublier ce que « raisonnable » pouvait vouloir dire. Parce qu’elles me permettaient de libérer ma propre folie.

A l’époque délirante pendant laquelle je vendais du pot et des pilules pour payer mes études, j’avais connu une fille sur-tatouée, une droguée à mille substances dont plusieurs m’étaient inconnues, une masochiste qui avait, en complicité avec son mec tatoueur, volé des voitures, avant qu’on ne l’incarcère. Elle disait que si je préférais, elle pouvait me payer les amphétamines en nature. J’en avais profité deux fois, avec les condoms que je jugeais les plus fiables – j’en aurais mis deux épaisseurs mais c’aurait été un peu insultant-, mais la troisième fois (c’était tard le soir et nous nous étions endormis dans mon lit) elle me réveilla en me disant qu’il fallait que je lui appelle une ambulance. Elle s’était planté un de mes couteaux de cuisine dans le ventre. Il y avait du sang dans mes couvertures. J’avais appelé les secours, et les policiers me détinrent pour la nuit, après m’avoir annoncé que j’étais soupçonné de tentative de meurtre (j’étais ironiquement soulagé de cette accusation, craignant davantage que les policiers ne découvrent ma planque à stupéfiants). Je terminai la nuit dans une cellule avec un type complètement ivre, un employé de la voierie qu’on avait arrêté sans peine après une vaine et stupide tentative de fuite. J’appris le lendemain que la folle s’était transpercée dans un geste de désespoir pour qu’on lui administre de la morphine à l’hôpital; on me libéra en me recommandant chaudement de mieux choisir mes fréquentations.

Une autre fois, des années plus tard, c’était à St. Louis, Missouri, j’avais donné une présentation ennuyante dans le cadre d’un World Summit où seuls les américains, les canadiens et les australiens s'étaient présentés. En soirée, j’avais insisté pour aller voir Chuck Berry au Blueberry Hill, un bar des alentours, où la légende se produisait en spectacle de temps à autres. Je pourrais ensuite dire : ouais, j’ai vu le grand-père du rock, live ! Pendant le spectacle, une femme noire dans la vingtaine, vint s’asseoir à mes côtés, me dit hi, i’m Margaret, you’re not from here aren’t ya, puis prit ma main et la glissa entre ses cuisses. You’re sexy as hell. Le spectacle du vrai King of rock’n’roll n’était pas terminé, je m’en foutais un peu, elle m’emmena chez elle, dans un appartement à deux coins de rue de là. Elle avait posé un revolver sur la table de chevet et m’avait dit you betta fuck me good baby or i’ll shoot you in the knee. Elle ne rigolait pas, ou en tout cas exécutait son théâtre avec brio. Elle avait exigé que je la baise trois fois pendant la nuit et chaque fois, je m’y donnais avec de plus en plus de verve, comme si j’eus voulu l’achever pour de bon. Elle s’était réveillée le matin avec un verre de bourbon et m’avait fait une pipe, me nettoyant de toute la croute résiduelle. Une véritable cinglée. Je me disais, ca y est, elle a du tuer quelqu’un, elle, mais quand je le lui demandai en regardant son arme, elle me répondit are you crazy mothafucka, now get the hell outta here !

Certains lecteurs penseront à Sophie et la visualiseraient bien à la suite de ces histoires, celle qui demande à ce qu’on la frappe, à ce qu’on l’écrase, mais elle n’y a pas sa place, Sophie n’est pas une insensée, pas à mes yeux. Étrange, oui, étonnante, certainement, marginale, absolument, mais folle, non. Pour être fou, il faut qu’il y ait une certaine perte de contact avec la réalité, or Sophie, elle c’est tout le contraire. Elle a un contact cristallin avec le réel, une conscience si vive de l’énormité du monde et de la petitesse de son être qu’elle s’impose des conditions d’existence qui la restreignent dans l’expression et le développement de son égo. C’est peut-être pour ça, parce qu’elle n’est pas assez folle, que je me refuse à elle. Pour l’instant, en tout cas.

Aujourd’hui, je dois dire que les cinglées ne m’attirent plus du tout. Peut-être à cause de la tatouée et de Margaret, peut-être parce que j’ai trouvé des façons plus saines de perdre la raison (lire ici entre autres, écrire). Je préfère de loin celles qui se croient raisonnables, qui orientent la vie selon des principes plus ou moins solides, mais qui s’abandonnent à toutes sortes de vices qui auraient indigné leurs grand-mères, celles qui se sont bâtis des édifices de raison qu’elles désertent dès que la braise du désir fait flamme. J’aime celles qui flanchent.