lundi 3 août 2009

Montreal doesn't give a shit about you

Le spectacle débutait à minuit, parce que c’est à minuit que les choses étranges se produisent, c’est connu. À l’entrée, deux cerbères jappaient aux invités d’entrer, de reculer, de bien se tenir. Le carnage s’entendait jusque dans les ruelles. Les norvégiens s’étaient beurrés de noir et de blanc pour faire peur. Ils criaient comme s’ils se faisaient découper l’anus à l’exacto, par dessus leurs guitares qui résonnaient de somptueuses mélodies belligérantes. Au bar, de sombres individus sirotaient des bières, engloutissaient des shooters, épiaient les culs et agitaient la tête, endiablés sous leurs tignasses. Les stroboscopes troublaient la perception, rendaient impossible les mouvements, irréelles les ombres et réflexions. Deux lesbiennes se niquaient dans un coin sous une black-light, effoirées, écarquillées, ouvertes comme des fleurs sur la causeuse de suède qui avait autrefois été rouge mais que le temps et la fumée avaient rosi. Devant la scène, c’était la guerre. Un type ressortit du champ de bataille le nez, la face en sang.

Je passai tout près du bar, fit un clin d’œil à l’employée que je connaissais bien. Elle me fit signe d’y aller. J’écartai l’épais rideau gris qui donnait sur la section VIP (en tout cas, c’est comme ça que je l’appelais, mais c’était juste une pièce mieux décorée et à l’écart). Sur les divans, confortables, mes amis se passaient un joint.

- Angélus! Te voilà. On se demandait si tu allais venir.
- Vous aviez raison de vous le demander, j’ai failli ne jamais me sortir de ce bain.
- Tu prenais un bain?
- Ben oui, imbécile, un bain, avec des chandelles à part ça.
- Avec des chandelles?
- Tu ne viendras quand même pas dire que des chandelles, ça améliore pas l’ambiance! Alors oui, des chandelles, et je lisais la l’autobiographie de Carl Jung. C’était passionnant d’ailleurs.
- Bon ben ça va te faire du bien te changer les idées. Tiens.

Deux heures plus tard, j’étais dans des nuages de cognac et de pot, fondu dans le divan de cuir au milieu de soixante terreurs-de-la-nuit avec des t-shirts de Mayhem et d’Emperor. Le show était fini, les norvégiens nous avaient rejoints. Ils parlaient un anglais digne, tout à fait suffisant pour exprimer la complexité de leurs pensées. J’éprouvais un plaisir particulier à les entendre discourir en norvégien, m’imaginant des vikings bâtissant de grands châteaux de bois, des rites anciens à Loki, à Odin. Ils se parlaient entre eux, semblaient se moquer d’un peu n’importe quoi, jugeaient, fumaient, buvaient.

- So, guys, I didn’t watch the show, but I could tell, you guys know how to set the crowd on fire, dis-je pour être poli.
- We don’t give a shit about the crowd to tell you the truth, me répondit le grand blond, au-dessus de ça, lui, la célébrité.
- Well, thanks to them you’re in Montreal tonight.
- We don’t give a shit about Montreal either.

Ils s’esclaffèrent.

- It’s ok. Montreal doesn’t give a shit about you, kids. Fair deal, huh?
- Fuck you.
- Angélus, y’ont quand même rempli le bar, intervint Simon, un metalhead qui ne les connaissaient même pas avant de voir le poster.
- Ca aurait pu être n’importe quel band, n’importe quel, j’te dis. Any fucking band could have filled this bar with enough posters, costumes and loud sound, ajoutai-je à leur attention. And any fucking white belt in karate could smash your Marilyn Manson pussy faces.

Ils perdirent rapidement leur attitude d’anges de la mort venus libérer la plèbe de l’étreinte du quotidien. Il fallait bien que quelqu’un pète leur balloune avant qu’ils ne demandent à être crucifiés. Quinze minutes plus tard, ils sont partis rêver aux montréalaises dans leur chambre d’hôtel au papier-cul rugueux comme du papier sablé.

That’s right. Montreal doesn’t give a shit about you.

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