mercredi 12 août 2009

La gorge d'Amanda

Dehors, l’orage, le vent, du gris partout, pas d’étoiles, une petite nuit parfaite pour se défoncer. Encore un verre de scotch. Je m'étais saoulé comme ça toute la semaine en écrivant des nouvelles terribles, en fumant du haschisch marocain, en écoutant du Satie ad nauseam.

J’avais tout juste repris contact avec Amanda. «Salut Amanda, je suis seul depuis trop longtemps. Si tu veux allumer ta webcam, ça me ferait du bien de te voir.» Amanda vivait en Floride, à Miami je crois, mais venait de St. Augustine. Elle était d'une intelligence cinglante et se disait membre de la société MENSA, ce qui était facile à croire. Elle faisait des phrases complètes qui commençaient par une lettre majuscule et se terminaient par un point, même dans Messenger.

On s’était contactés pour la première fois sur un forum de black metal. Mon accent français la faisait craquer. Elle ne jouissait que si on l’étouffait jusqu’à voir des étoiles, avec un oreiller, ou idéalement avec les mains. Une fois, j’avais vu des bleus dans son cou. Aussi, j’avais rêvé que je la tuais, à moitié par accident, en lui disant « salope ». Quand je lui avais dit, elle avait rit et m’avait dit « tu sais bien que je te tuerais bien avant ».

-Alors, ça fait quoi, six mois, un an?
-Je ne sais plus. Je m’en balance. Je suis content de te voir.
-Dis pas ça, t’es pathétique.
-Bon alors fait chier de te revoir, j’te croyais morte.
-Pffffaaah! Pas changé.
-Toujours aussi drogué.

En moins de vingt minutes, elle exhibait ses seins blancs, se léchait les doigts, se touchait par dessus - et plus tard en dessous et puis sans - sa petite culotte. Je devais être ferme, m’adresser à elle avec dureté, sinon avec cruauté, à défaut de quoi elle feignait ne pas m’entendre et finissait par carrément se fâcher, me traiter de mou et elle fermait sa webcam et se mettait hors-ligne. Alors je lui lançais des insultes à la gueule, ça me faisait à moitié marrer, à moitié bander.

-Tu vois toujours ton… ton maître?
-Oui, je l’ai revu le weekend dernier.
-Et ton copain?
-Ça va.

Puis, elle avait déclaré que sa coloc était arrivée, qu’elle devait quitter, qu’elle devait étudier. Amanda has logged off.

Amanda se déshabille quand on sait lui demander, et en ponctuant bien de remarques injurieuses, elle ira jusqu'à se faire jouir. Elle exige de ses partenaires qu'ils soient irascibles, qu'ils la prennent violemment, qu'ils lui serrent la gorge fort, très fort. Un soir, je l’avais avertie: Amanda, quelqu'un va finir par te tuer. Elle m’avait répondu bizarrement qu’il n’y avait que moi pour s’imaginer cela, peut-être parce que j’en avais rêvé. Amanda ne jouit qu’à proximité de la mort; lorsque son esprit n’a plus d’emprise, son corps explose. L’égo doit d’abord être bafoué, violenté, réduit à néant, puis son corps mené aux portes de l’existence. C’est alors que son sexe renouvelle tout son être, dans un éclat incroyable qui la fait crier jusqu’au Canada.

En bout de ligne, seul avec ma pipe à haschich et le piano de Satie, avec mon fond d’écran et mes clics compulsifs, c’est moi qui avais joué le rôle instrumental et c’est comme si toute cette violence, toutes ces insultes, m’avaient été redirigées en pleine gueule. Pourtant, je sentais le besoin de dire merci.

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