vendredi 6 novembre 2009

La surprise d'Alexia

La nappe brulait; des flammes majestueuses s’élevaient tout autour de l’immense table, projetaient des ombres vacillantes et instables sur les visages, les murs, les objets. Au milieu des assiettes laissées là, des tajines avaient été abandonnées dans les unes, dans les autres cramaient des fromages importants, déjà les courbes des coupes s’enduisaient de suie. Les chandelles fondaient, assaillies par une chaleur luxuriante qui leur était insupportable. En plein centre, elle à quatre pattes, lui à genoux derrière, ils forniquaient furieusement, gémissaient, rugissaient, passionnément, inarrêtables. Ils devaient jouir, vite, avant que chaleur ne devienne brûlure. Il faut dire, ils avaient eu une longueur d’avance : la maîtresse de cérémonie les avait sommés de se mettre à la tâche avant la fin du repas. Il lui avait déversé une bouteille entière d’un vin d’Amérique sur les fesses et le précieux fluide était allé se mêler à ses sucs à elle, coulant comme un fleuve nouveau, pourpre et scintillant, dans son dos, entre ses fesses et jusqu’au sacro-saint delta de son sexe. Dans une complexe complainte mue des jouissances extatiques auxquelles ils s’étaient assujettis et des douleurs inquiétantes provoquées par les flammes qui leur léchaient déjà les orteils, on les aspergea de mousse anti-feu, et l’incendie fut avorté. Applaudissements.

Alexia m’avait téléphoné, après deux mois de silence bien mérités, et m’avait annoncé qu'elle avait une surprise pour moi: j’avais été « choisi » pour participer à une soirée « spéciale ». Ma curiosité piquée à vif, je tentai d’obtenir d’elle plus de renseignements. Seules spécifications reçues : m’habiller chic, apporter une bouteille respectable ainsi que toute la distinction dont j’étais capable.

La soirée se déroulait dans une immense maison, sinon un manoir, où deux valets m’accueillirent avec plus de manières que je ne n’aurais pu m’y attendre. Je savais qu’Alexia avait des connaissances dans les hautes sphères torontoises de la finance, mais j’étais surpris qu’on l’invitât dans de tels endroits, dans de tels événements. On me dirigea ensuite dans une splendide salle à manger qui devait aisément faire cent mètres carrés. Une table orgiaque y était installée : raisins et noix, figues et sauces, homards, veloutés divers, terrines, fromages, vins blancs et rouges en carafe et champagne. Ma curiosité s’amplifiait : pour quoi et pourquoi avais-je été choisi? Que faisais-je ici? Qui étaient ces gens?

Je repérai Alexia qui venait de poser son verre à martini sur une table, de s’excuser à ses interlocuteurs et qui maintenant ajustait sa robe de soirée et se dirigeait vers moi. Elle me présenta, en anglais, à Mmes Bowering, Bonnell, Simmons, Dussault, Saucier, et d’autres encore dont le nom m’échappe à présent. Elles étaient visiblement riches, la plupart dans la trentaine ou dans la quarantaine, exceptées Mme Bowering, la maîtresse de cérémonie, qui était dans la soixantaine, mais qui de loin paraissait dans une difficile trentaine à force de remodelages et d’injections de Botox et une fort jolie jeune femme blonde dont le nom était trop compliqué pour le prononcer, pire donc à mémoriser, qui elle, était dans la vingtaine. Elles se comportaient avec dignité, riaient généreusement, et semblaient, elles, savoir de quoi il était question, bien que la plupart ne se rencontraient que pour la première fois. Un autre homme fit bientôt son apparition, plus âgé que moi, confiant, rieur. A part M. Harvey, j’étais le seul mâle au milieu de ces douze ou treize femmes. Je tâchais de ne pas paraître intimidé, utilisais mes humours les plus subtils, ralentissais mes gestes, respirais plus profondément et plus régulièrement.

La maîtresse de cérémonie annonça le début du repas et selon ses instructions, nous nous mîmes à table. Les deux hommes devaient prendre place aux deux extrémités de la table. Alexia fut placée à ma droite. Mme Bowering nous souhaita formellement la bienvenue. Cette soirée allait être toute spéciale. Sa seule exigence : obéir à ses commandements. J’interrogeai Alexia du regard. Elle me répondit par un clin d’œil. Bon appétit!, dit-elle en français.

Dès que le premier service fut dégusté, la maîtresse tapa des mains et les lumières s’éteignirent. La pièce était maintenant éclairée seulement par de multiples chandeliers qui, sur les murs ponctuaient les œuvres d’arts exposées, et sur la table éclairaient les convives et les mets. Les femmes se levèrent toutes, soudainement, et quittèrent la salle. Je déposai mes ustensiles sur la table, incertain à savoir si je devais les suivre ou patienter mais je calquai la patience de M. Harvey qui venait d’étendre un morceau de brie sur un craquelin, comme si rien n'était.

A ma surprise, lorsqu’elles revinrent, elles s’étaient toutes changées; qui plus est, elles s’étaient déguisées. Mme Simmons était devenue une féline, une Catwoman, son corps moulé par des filets noirs. Mme Bonnell était costumée en succube ou quelque créature infernale. Mme Saucier, était une religieuse. La jeune blonde était en ballerine. Alexia était une hawaïenne. Il y avait aussi une paysanne, une joueuse de baseball, et quelque chose comme une garagiste ou une éboueuse. Je dus contenir mon amusement, inondé par l’impression de me retrouver dans quelque carnaval surréaliste, de m’être embarqué dans un tour de manège dans l’imaginaire sexuel de Dali. Elles se rassirent sagement à table. Puis, la maîtresse de cérémonie claqua des doigts et une chatte et une ballerine disparurent sous la table. Quelques secondes plus tard, je sentais monter des doigts le long de mes jambes et, saisi, je mis tout mon esprit à contribution afin de m’acclimater à ce qui était en train de se produire dans ce manoir, l’air hébété, alors qu’Alexia agitait ses doigts, aloha, chéri!

On libéra mon sexe de mes pantalons, sous la nappe, et je sentis bientôt la chaleur mouillée d’une bouche inconnue l’entourant tout entier, compliquant considérablement l’autopsie du pauvre homard éventré qui gisait dans mon assiette. Succube et Paysanne disparurent à leur tour sous la table et quelques secondes plus tard, M. Harvey, à l’autre bout de la table, poussait des sons que j’aurais préférés plus discrets. Elles disparurent éventuellement toutes sous la table et je tentai en vain de reconnaître parmis les bouches celle d’Alexia. Je m’abandonnai aux chaleurs variées des lèvres qui me partageaient aimablement, aux succions et aux textures variées qui s’amourachaient de mon sexe boursoufflé. Les unes tiraient violemment, comme un trou noir le ferait, alors que les autres, plus détendues, plus chaudes, me promenaient du palais à la joue, de la joue au palais, dans un tourbillon de langue.

La maîtresse tapa à nouveau dans ses mains et les folkloriques coquettes ressortirent de sous la nappe. On eut crut qu’elles avaient étudié et suivait un programme plus ou moins précis. On nous servit alors le plat principal, qui fut dégusté dans un silence troublant. Mme Bowering siffla. Je ne savais à quoi m’attendre. Paysanne et Hawaïenne vinrent à mes côtés. On tira ma chaise à un mètre de la table. Alexia releva sa jupe et grimpa sur moi, et s’enfonça mon sexe jusqu’au fond du corps. Elle s’agita comme une forcenée, en s’appuyant sur mes épaules. Puis, elle céda sa place et ce fut le tour de Paysanne, puis de Catwoman, puis de je ne sais plus, des plus légères aux plus lourdes, des plus criardes aux plus discrètes.

Je n’ose détailler et n’arrive pas, de toute manière, à me rappeler avec justesse les multiples prouesses fantasmagoriques qui s’accomplirent dans cette salle à manger lors de ce repas exquis, mais je me souviens qu’avant le service de la crème brûlée, on fit monter M. Harvey et Succube sur la table pour qu’ils y baisent jusqu’à l’orgasme. Les sexes et les bouches couverts de sucre, je jouis démesurément, le corps subjugué par des soubresauts incommensurables suivis inévitablement, comme le tonnerre suit l’éclair, par des raz-de-marées terribles de ma substance qu’attendaient avec espérance ces luxurieuses créatures au sang de débauche. Peu après, Mme Bowering ordonna que l’on mette feu aux bouts de la nappe, jugeant qu’il était temps que débute le spectacle de clôture…

Je reconduisis à sa voiture Alexia, qui était maintenant revenue de l’été perpétuel du Pacifique dans l’automne gris du Canada:

- Alors, bien mangé?
- Très, c'était exquis, vraiment.
- C'est vrai.
- Dis, comment connais-tu ces gens là? Comment m'as-tu attiré là-dedans?
- Heureuse de savoir que je puisse encore te surprendre.
- Tu as toujours su me surprendre, coquine. Je ne pensais pas que tu me rappellerais, tu sais.
- T'as encore peur que je sois amoureuse, hein? Écoute, c'est vrai, j'ai flanché l'autre soir, mais... Oh et puis merde Angélus j'ai pas envie de me justifier... Allez, bonne fin de soirée.

Elle ouvrit la portière de sa Volvo. Il faisait froid. Le vent nocturne faisant danser ses cheveux dans son visage. Jamais elle n'avait été à mes yeux aussi belle que sous cette lune d'acier, avec le regard des femmes qui disent aux hommes: je n'ai pas besoin de vous.

- Hey, attends!
- Hmm?
- Si je t'invite chez moi, samedi, pour une soirée de cinéma étranger, comme on le faisait parfois, tu accepteras ou faut-il me faire pardonner de t'avoir repoussée?
- J'accepte, mais il faudra quand même te faire pardonner...

Elle s'enfonça dans le cuir de son siège, je fermai la portière, et elle m'envoya un baiser dans les airs. Satisfait, je vis disparaître la Volvo vers la ville et entrepris mon propre chemin vers le loft.

Angélus, me disais-je en me regardant dans le rétroviseur, c'est tout ce que ça lui a prit pour te ravoir. Est-ce parce que je suis simplement minable ou plutôt parce que c'est moi qui, au fond, la voulait de retour dans ma vie? Alexia, l'amante, l'amie, m'avais manqué, c'est vrai. Je songeais déjà aux films que je choisirais et imaginais quels gestes, quelles attentions je devrais poser pour me faire pardonner le recul démesuré que je lui avais imposé après la manifestation de son amour pour moi...

10 commentaires:

  1. Envoûtant et troublant.

    De la luxure comme on aime : chic, décadente, flamboyante, intrigante...

    J'en roucoule de plaisir, cher Angélus!

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  2. Absolument décadent. Hot.
    Bavant.

    Je suis à vos pieds Angélus. ;)

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  3. Après une surprise comme celle là il ne faudrait pas la decevoir. Et lui préparer une soirée comme elle aimerait passer pour te faire pardonner.

    En tout cas j'ai beaucoup aimé lire cette scène, ce décor, ces costumes, ces corps ... Ca m'a fait penser de loin à cette scène dans Eyes Wide Shut. J'étais encore assez jeune à l'époque quand je l'ai vu pour la première fois, la K7 trainé par la et mes parents n'était pas là cette après-midi... J'avais trouvé la scène du bal horriblement longue, horriblement perturbante mais aussi intéressante à la fois. Mais on grandit^^

    Enfin ce n'est pas tout à fait pareil, mais c'était une impression.

    Cette soirée est prévu pour bientôt ? :)

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  4. Wow tout à fait délicieux.. Ce que je donnerais pour me retrouver devant un festin comme ça! Vos mots sont exquis Monsieur ;)

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  5. Bast: *Glatissements*

    L'achigan: Il va falloir distribuer des bavettes à l'entrée des Sangsues... ;)

    Angelsouris: Je ferai tout pour ne pas la décevoir, je trouverai, je suis confiant. Cette soirée vaudra-t-elle la peine d'être racontée? A voir...

    Alexandra: Peut-être serez-vous invitée dans un banquet près de chez vous? Merci d'avoir goûté ces mots.


    a plus tard, les colombes.

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  6. Ce que j'aime bien c'est l'élégance et le détachement un peu amusé avec lesquels tu écris ces scènes...chaudes.
    Ari

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  7. Encore et encore! Je me délecte de tes mots et cette scène est délicieuse et envoutante à souhait!

    Toujours signé...un fantasme!

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  8. Ari: Amusé, oui, c'est un bon mot. :)

    Magnolia: Vous reviendrez vous délecter... y'aura du dessert.

    a+

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  9. J'aurais préféré 13 gars pour 2 filles mais c'était bien quand même. :P

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  10. @ Canelle
    Les gars n'aiment pas la compétition!!!

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