Je ne me suis jamais gêné, contrairement à beaucoup de gars, dans les magasins de lingerie. Au contraire, je m’y sens presque à la maison. C'est toujours dix fois mieux que les Toys'R'Us quand j'étais môme. J'y arrête parfois même sans avoir l'intention d'acheter quoique ce soit, juste pour m'imaginer les vendeuses dans leurs produits, pour toucher les tissus des petites culottes, pour observer les femmes m’examiner, en pleine contemplation, et me demander ce qu'elles pensent d'un type qui flâne dans un magasin de lingerie.
Cette fois-là cependant, j'avais en tête d'acheter pour l'anniversaire d'une ex-collègue de travail avec qui j'avais partagé des dizaines de chambres d'hôtel (bien que nous en louassions toujours deux pour ne pas semer le doute chez les comptables), un négligé en satin vermillon. J'avais donc l'esprit traversé de souvenirs de peaux roses, d'haleines haletantes, d'humidité et de lèvres lorsque, par une coïncidence inouïe, j'aperçus dans l'étalage des pyjamas celle qui s’était offerte à moi en esclavage (littéralement), quelques semaines plutôt, Sophie. Elle ne se doutait pas encore de ma présence, et j’en profitai pour lui faire une surprise. Je contournai les déshabillés, passai devant les désirables jeunes caissières qui espéraient que je transige, avec leurs grands sourires de cégépiennes, et par derrière je posai mes mains sur ses épaules.
Malaise.
- Oh, hé, je… qu’est ce que tu fais ici? me demanda-t-elle nerveusement.
- Je magasine.
- Tu… trouves ce que tu cherches?
- Oui, mais j’aurais acheté tout le magasin et les caissières avec. Et toi? Tu trouves de quoi être confortable?
Elle brandit sous mes yeux l’affreux pyjama de flanelle qu’elle semblait avoir choisi.
- Tu en dis quoi?
- Oh, mais ça doit être confortable.
- Ça doit.
Elle détourna les yeux, enfonça ses mains dans les autres pyjamas.
- Écoute, Sophie, ne faisons pas comme si nous ne nous étions jamais envoyé ces courriels, tu veux?
- Ouais, non… j’veux dire, j’assume tu sais.
- Tu cherches toujours? Un maître, je veux dire?
Elle vérifia que nous n’étions pas entendus par des oreilles indiscrètes.
- Je ne sais pas, peut-être.
- T’as déjà eu du bon sexe, Sophie? Du vrai bon sexe, je veux dire.
- J’imagine que oui?
- Tu imagines…
De toute évidence, jamais on ne l’avait prise par la gorge, jamais on ne l’avait soumise, ou encore jamais elle n’avait osé dominer, jamais elle n’avait giflé, ni même griffé la chair d’un mâle.
- T’as le temps pour un café?
- Ouais.
- Je t’offre le pyjama.
Je payai la facture à Chloée, la caissière en formation, pendant qu’Adèle, sa collègue ainée, fourrait dans deux sacs mes achats, sans ménager ses sourires ni ses manières aguichantes, et je remis celui qui contenait le pyjama à Sophie qui me remercia sans cacher sa gêne.
Elle commanda un capuccino, moi un café des plus ordinaires. Elle s’ouvrit à moi facilement, comme dans sa lettre, exposa ses échecs, ses déceptions, ses passions, aussi. Elle faisait du slam tous les jeudis dans un bar que j’avais fréquenté souvent début vingtaine où ils faisaient jouer Arthur H. Naturelle, elle gagnait en beauté, comme toutes les femmes. La crainte du regard erroné de l’autre s’effaçait des traits de son visage, son discours devenait plus fluide, et surtout beaucoup plus intéressant. Elle m’invita à aller l’écouter, jeudi dans deux semaines, et j’acceptai, surtout pour lui faire plaisir, à elle qui plus que tout avait besoin de reconnaissance, par altruisme, surement pas par amour du slam. Elle me montra les tatouages qu’elle avait au-dessus du sein droit (un chapeau à plumes) et sur la hanche (un troubadour). Je lui montrai ma cicatrice au cou (un accident de pêche). On se moqua l’un de l’autre. On se demanda comment allait Julie, si elle avait finalement fait tuer son outre-mangeur de chat, si Philippe avait eu son visa pour l’Argentine.
Je devais partir, j’avais un cadeau à offrir et je le lui dis.
- Alors, on se voit jeudi?
- Oui, j’y serai, à moins d’une urgence.
Son sourire mourut immédiatement et totalement lorsque, en me levant, ses yeux se posèrent sur le sac du magasin de lingerie que j’emportais. Soulagement.
Nuits magiques: des gémissements sous les étoiles
Il y a 7 mois
Intrigante cette Sophie. En tout cas, on embarque!
RépondreEffacerEn passant, j'adore ta nouvelle en-tête de blogue, une très très belle photo, je suis jaloux là :)
RépondreEffacerVC: J'aime aussi, je t'avoue. Moins répugnant, certainement.
RépondreEffacerJe la trouve triste moi, Sophie...
RépondreEffacerPis mon petit doigt me dit que c'est un noeud de problèmes la demoiselle : manque de confiance, prête à tout pour être aimée, pas d'orgueil ni d'amour propre.... ouf...
la chèvre
Elle est triste en effet, et tout cela. Je crois qu'une part de moi tente de sauver son âme. a+, la chèvre.
RépondreEffacerJe viens de découvrir ton blog, crois moi, je suis en train de tout lire et j,en veux encore!
RépondreEffacerEncoooooooooore!
Okay.
RépondreEffacerJe veux la fucking suite au plus crisse.
Ça me fait rappeller l'époque ou j'étais un vrai dominant.
C'était dont bien bon ce texte-là! Plusse! Plusse!
RépondreEffacerLa littérature érotico-machin n'est habituellement pas ma tasse de thé, mais j'aime ce que tu fais. Tu as une voix intéressante.
RépondreEffacerChiquita: Oh, il y en aura d'autre, ne crains pas!
RépondreEffacerPierre-Luc: Il s'est passé quoi depuis l'époque?
arrachecoeur: Merci!
Valérie: Je suis flatté. A+
Avoues au moins que le changement de header c'est pour moi. Je ne le dirai à personne. Promis ! ;)
RépondreEffacerSexysoda: Après réflexion, c'est vrai que c'était légèrement rebutant, ces créatures visqueuses en pot. Mais je les aime quand même, mes petites sangsues.
RépondreEffacerPourquoi semble-t-elle triste, Sophie? Elle poursuit ses buts en s'offrant, elle s'ouvre en toute intimité et elle accepte que la complicité ni soit peut-être pas, que seul l'avenir le dira. Est-ce cela qui la rend triste?
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