mercredi 2 septembre 2009

Le plus délicieux des mensonges

J’avais été convié au vernissage d’un ami de longue date et je lui avais demandé de m’accompagner. Elle s’était parée de ses plus beaux atours, portait une robe exceptionnelle qui enserrait sa taille d’un soyeux tissu carmin et laissait imaginer des seins de nymphe; s’était maquillée avec minutie et modération et s’appliquait à se déplacer avec la grâce des aristocrates. Nous étions arrivés déjà un peu échaudés, grâce à une bouteille de vin rouge du Château de Chamirey que nous avions partagée pendant le repas, dans un restaurant respectable, à quelques coins de rues de la galerie où se déroulait l’événement. Il n’y avait pas foule, mais une poignée de gens distingués avaient accepté l’invitation. Nous fûmes accueillis par l’artiste; il était fier – avec raison, et il nous offrit à chacun une coupe de champagne. Nous lui offrîmes toutes nos félicitations, puis il s’excusa et nous le perdîmes au profit d’une journaliste, une amie à lui, avec qui il avait tout intérêt à discuter de ses démarches.

Nous contemplâmes ses œuvres d’intérêt mineur, tout en saluant des connaissances que nous avions perdues de vue depuis des années et dont l’existence nous importait peu, sinon pas. Nous commentions sur ces femmes saoules, sur ces hommes dont le charme n’opérait pas tel qu’escompté, nous pouffions de rire en apercevant ces imbéciles s’empoigner le menton, raidir les lèvres et hocher de la tête devant des détails imaginés : « Il y a définitivement, par là, où le bleu et le rose se rencontrent, une silhouette, oui, j’y vois un homme et là, peut-être, euh, une femme. La symbiose des sexes, pourrait-on dire, hmm?»

Elle me fit un regard aguichant en annonçant qu’elle devait trouver les toilettes, mais je préférai feindre de l’ignorer, ce qui avait pour effet, je le savais, d’éveiller en elle un déluge d’envies inexprimables en public. Je me concentrai sur une toile qui avait plus de potentiel que les autres et lorsqu’elle revint, je lui en fis la remarque, mais elle ne s’y intéressa aucunement, s’approcha sauvagement, saisit ma ceinture, respira mon parfum tout près de mon cou et me chuchota à l’oreille: « Quittons, tu veux? »

J’avais baisé cette femme pour la première fois alors qu’elle avait dix-neuf ans, dans la piscine de ses parents, juste en tassant son bikini, sous l’eau, et je me rappelais encore cet ébat lorsque je me sentais seul. Elle s’était ensuite mariée, s’était divorcée quatre ans plus tard; alors nous nous étions revus par hasard pendant que je renégociais mon contrat de téléphone mobile et nous avions encore joui ensemble. Nous avions l’un pour l’autre des sentiments partagés entre une amitié décente et de vifs désirs charnels – souvent bonifiés par un taux d’alcoolémie juste suffisant pour s’empêcher de quitter en voiture. Pendant des mois nous ne nous voyions pas, puis elle m’appelait ou je l’appelais et à nouveau nous tombions l’un pour l’autre pendant une nuit, parfois deux.

Elle insista pour que je l’amenasse chez moi et c’est ce que nous fîmes, afin d’éviter la présence importune d’une amie qu’elle hébergeait après que la pauvre se soit fait marteler la tête sur le sol par son barbare de mari. Pendant que je manipulais gauchement mes clés afin d’ouvrir la porte, elle glissa sa main entre mes jambes et rejoignit mon sexe déjà gonflé. Nous fîmes éruption dans le loft comme deux éperdus et nous nous retrouvâmes, moi sur le dos, elle par-dessus moi, sur mon gigantesque lit, souriants, conscients du moment le plus heureux de notre semaine.

- Angélus, ne sommes nous peut-être pas faits l’un pour l’autre?

Sa question résonna comme une timbale, provoqua l’image d’une armée aux portes de la forteresse.

- Il me semble qu’à tout le moins ce soir, nous le sommes, non?
- Je veux dire…

Elle mit ses deux mains sur mon collet.

- Oh, Alexia, vraiment? Tu penses à cela?
- Je ne sais pas, des fois… Je… Je ne sais pas! Pas toi, jamais?

J’étais attendri. Il me vint brièvement à l’esprit l’idée de lui mentir et de lui dire oui Alexia, nous sommes faits l’un pour l’autre, j’ai envie que jamais tu ne me quittes, jamais nous ne flétrirons, toujours aussi intensément nous baiserons.

- Je t’adore Alexia, on passe du temps incroyable ensemble, mais tu me connais, je ne suis pas comme ça, ce n’est pas ce que je veux. Je crois que j’ai toujours été super clair.
- Ah, je sais, Angélus, je suis juste saoule, je crois, et je passe tellement du bon temps, je voudrais que ça dure toujours.
- Rien ne dure toujours et c’est pour ça que c’est si bon.
- T’as toujours raison, tu m’écœures, salaud!

Elle me gifla presque gentiment. Je la retournai, je l’embrassai et nous fîmes l’amour, doucement, comme si nous avions été deux vierges. Nous le fîmes avec un amour réel, avec une volonté de s’inscrire dans l’éternité, de prolonger le corridor de notre bien-être vers l’infini. Le plus délicieux des mensonges. La plus viscérale des illusions. L’amour immortel au-delà d’une nature éphémère. La plaisanterie par quoi tout est.

Je me sentais donc comme l’ange de la mort, sous le rayon du soleil matinal, en lui annonçant que cette fois avait été la dernière, que jamais nos corps bouilleraient ensemble à nouveau, que jamais nos esprits encore s’immoleraient à la musique du Mâyâ. Elle m’accusa dans des coulées de Rimmel de craindre l’avenir, de fuir l’amour, à quoi je plaidai que j’étais plutôt éternellement amoureux du présent et de tout ce qui y passait. Je lui offrais de ne pas se transpercer le cœur de mirages, elle me disait « blesse-moi ». J’étais pour elle un déserteur et un lâche, mais pour moi-même, j’étais le soldat au combat pour ne pas répudier l’essence du monde, momentané et aléatoire, et je perpétuais le difficile sacrifice de ne jamais mentir, ni à moi-même ni aux aimés, sur la nature de la perpétuité : illusoire et félonne. Victoire amère, mais victoire nécessaire dans ma poursuite du merveilleux, du beau et du vrai. Le mensonge est délicieux, mais il impose à l’esprit des cataractes qui amoindrissent la volupté d’être en vie avec extravagance et spontanéité, libre et fou, jeune jusque dans la tombe.

- Ce n’est pas toi que je repousse, Alexia, c’est cette vibration en toi, celle qui pour la première fois devant moi t’arrache des larmes lorsque je dis je t’aime mais laisse-moi.

2 commentaires:

  1. C'est moi la gifle, juste au cas où tu te poserais la question ;)

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  2. Je dirai merci, au risque d'en recevoir une autre.

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