samedi 26 septembre 2009

La frontière entre l'homme et l'oiseau

Je me suis réveillé en pleine nuit, tombé d’un grand arbre, et j’étais dans les souliers d’un autre. Je me suis cogné le nez sur un mur où j’aurais juré qu’avant mon sommeil il y avait une porte. Il fallait pour sortir, passer par la garde-robe. Il me fallait aller pisser et j’ai ressorti, il me semble, une dizaine de litres. En passant devant le miroir, j’ai vu sur mon visage des cicatrices qui m’étaient étrangères. Je me suis demandé si j’étais moi. Au bas des marches, j’ai trouvé un album photo. J’ai tourné les pages, frénétiquement, presque fâché. Il y avait moi avec des jouets qui n’étaient pas les miens, moi avec des visages absents, moi mais pas moi. Moi mais un autre. J’ai lancé l’album, il s’est écrasé contre la fenêtre, est retombé sur le sol. J’ai blasphémé, j’ai maudis le sommeil, le sommeil qui m’a volé à moi-même.

J’ai cherché ensuite les clés de ma voiture; elles étaient sous un tas de factures. Il n’y avait plus d’essence dans le réservoir. J’avais oublié ma carte bancaire, mon argent, mon nom. Je me suis enfoncé dans le bois, par une route de campagne en serpentins. J’étais aveuglé par le soleil du levant. Ma voiture s’est arrêtée, à bout de souffle. J’en suis sorti, j’ai ôté ces viles chaussures, ces bas – je voulais être nu pied sur le sol de la forêt.

J’ai grimpé le flanc de la montagne en attrapant le tronc des bouleaux, en écrasant quelques champignons. J’avais des feuilles entre les orteils. J’avais les joues sèches : j’avais pleuré, en escaladant. Au sommet, il y avait un énorme rocher. Sur ce rocher était posé un oiseau, une sittelle à poitrine blanche qui gazouillait. Je me mis à agiter les bras, comme un fou, sans raison, à les remuer comme un démon. L’oiseau s’envola en peur. Puis dans une douleur indescriptible, dans une souffrance impartageable, les os de mes bras se mirent à imploser, à se métamorphoser dans des craquements épouvantables. Mon cri, d’abord grave et terrible, devenait maintenant petit et fragile. Mes poils grossissaient à une allure fulgurante, m’ouvraient la peau, la déchiraient, durcissaient, puis à mon étonnement, ils se transformèrent en plumes. Je tombai face contre le rocher. Mes jambes commençaient à élancer, mes pieds me faisaient souffrir. Puis, je vis les ongles de mes orteils se détacher et tomber, aussitôt remplacés par des griffes. Je tentais de ramper, mais mes bras n’étaient plus des bras : c’étaient des ailes. Je me mis à genoux. Je m’approchai du rebord du rocher, qui donnait sur le flanc abyssal de la montagne. Je secouai mes ailes, souffrant comme un christ en croix. Fais battre ces ailes. Je sentis l’air s’emprisonner sous mes plumes. J’agitais maladroitement mes nouveaux membres. Je parvins à emprisonner mes griffes dans le roc, à me mettre dans une position propice au décollage. Je m’approchai de la frontière entre l’homme et l’oiseau.

Le vide me regardait autant que moi je le fixais. J’ai sauté.

L’air. La gravité. Le sol.

13 commentaires:

  1. Mince est la frontière, tout comme celle entre la fiction et la réalité.

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  2. Wow...
    Un Alice au Pays des merveilleux version Angélus

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  3. Julie: Mince, très mince... Ne faut-il pas travailler toujours à les rapprocher?

    Magnolia: Au lieu d'un lapin, ici, c'est un oiseau. J'adore Alice au pays des Merveilles. :)

    a+ moineaux et hirondelles!
    ;)

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  4. Moi aussi! Surtout la version originale non censuré. Un conte pour adulte seulement!

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  5. Ou à les amener à se confondre, pour mieux revenir à notre réalité?

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  6. Tellement bien imagé...
    Ciel! qu'il est plaisant de te lire!

    :)

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  7. Magnolia: Plutôt de la crème glacée aux cornichons que de la censure!

    Julie: La réalité, ça commence où et ça s'arrête où?

    l'Adulescente: Trop fine. Merci! :)

    a+

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  8. La réalité, c'est ce qui continue d'exister même lorsqu'on cesse d'y croire...

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  9. hum... plusieurs réponses possibles:
    la réalité, elle commence à 8h et s'arrête à 16h, du lundi au vendredi.
    Ou, la réalité, je ne peux dire, il y a longtemps que j'en ai perdu la trace et j'en suis tellement plus heureuse.
    Ou, ta réalité commence où la mienne se termine.

    En fait, qu'est-ce que la réalité? On pourrait consulter Descartes sur le sujet, non?

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  10. L'Adulescente: Vu comme ça, c'est moche, ça voudrait dire qu'il faudrait cesser de croire à toute chose pour se faire un portrait du réel.

    Julie: Je ne réponds pas à ce genre de question. Trop glissant. Même Descartes s'est planté. ;)

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  11. Ahaha! 'ffectivement, Il s'est en quelque sorte planté!

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  12. Descartes s'est planté parce qu'il ne voulait pas admettre que la passion est beaucoup plus forte que la raison.
    D'ailleurs ici, ca donne de très bons textes!!!

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