jeudi 20 août 2009

Lettre en réponse à S.

Chère S.,

J’espère que tu m’excuseras d’abord le temps que j’ai mis à te répondre. Aussi, je te tutoierai, je préfère cela. Je t’imaginais attendre avec impatience ma réponse. Tu devais te douter que ma réponse n’arriverait pas immédiatement, mais là, quelques semaines se sont écoulées et tu devais commencer à penser que ta lettre était tombée dans le néant. Sache qu’il n’en était rien. J’ai médité longtemps, relu ta lettre d’au moins dix angles différents, j’ai imaginé ce que serait la vie avec une esclave à mon service, ce que serait la vie avec le regret de n’avoir pas dit oui. Et j’ai voulu attendre, pour voir si tu tiendrais la route. Tu as été sage, tu as attendu.

Une esclave moderne, qu’est ce que c’est, qu’est ce que ça implique? Comme tu l’abordais dans ta lettre, le cadre social s’y apprête mal. On pourrait me poursuivre, on me trainerait dans la merde dans les médias, on dirait « C’est un tyran! C’est un pervers! ». Ça ne serait pas totalement faux. Tu ferais des interventions en ma défense et on s’en indignerait davantage : « Voyez comme il l’a brainwashée! ». Éventuellement, cette relation maître-esclave deviendrait une prison, autant pour moi que pour toi, je finirais par te haïr, tu me mépriserais et tu regretterais. Je te chasserais et nous en sortirions plus blessés que grandis.

Ton offre est pourtant alléchante. Il y a en moi un maître intransigeant, désireux de dominer, d’exercer une puissance. Mais, vois-tu, je doute que tu saches ce que c’est, d’être dominée. Tu me parles de ta dignité. Être dominé, c’est ne pas en avoir, de la dignité. C’est y renoncer. Il n’y a pas de telle chose au monde qu’une esclave digne. Je te ferais porter des costumes pour te rappeler ta position, je te donnerais la fessée quand tu ferais la vilaine, je pourrais t’humilier devant mes invités lorsque ta présence serait importune. Si tourner des boulettes te semble dégradant, attend de voir les marques rouges sur tes fesses après la punition. On ne te ferait pas ça au McDo. Moi si.

Autant ta proposition semble noble à la première lecture, autant il me semble qu’il s’agisse davantage d’une fuite que d’un réel engagement, davantage un appel à l’aide qu’une réelle renonciation. Tu prétends ne pas croire à la liberté. La liberté prend plusieurs formes. La liberté, c’est avoir l’espace dont on a besoin, mental ou physique. Tu as pris la liberté de t’offrir à moi, dans un dans un accès de romantisme sans bornes, tu désires toujours la liberté d’écrire, de créer. La liberté ne te demande pas d’avoir de la foi. La liberté n’est pas un dieu, c’est un sentiment. Une esclave n’a pas droit à ce sentiment. Elle doit refuser tout désir qui émane de sa personne et tourner toute son existence vers celui qu’elle sert. Tu n’es pas prête à cela. Personne ne l’est, même en naissant esclave, jamais un humain ne se sera fait à cette condition.

Serais-tu en réalité amoureuse de moi, S.? Est-ce que par hasard, lors de cette soirée de poésie (emmerdante à fond, je te l’accorde), tu n’aurais pas avec ton nez de femme senti chez moi la force masculine manquante dans ta propre individualité? Je me le demande, car il me semble que s’il y avait une parcelle de guerrière en toi, si tu étais mue par la moindre force prédatrice, tu m’aurais probablement plutôt attaquée de regards vicieux, tu m’aurais dit des phrases plus ou moins subtiles pour m’attirer dans tes draps. Mais ce n’est pas ce que tu as fait. Tu as gardé le silence. Tu m’as regardé, tu m’as écouté, tu es restée immobile, intimidée. À onze heures tu as dit que tu devais quitter. Ton amie voulait que tu restes, je lui ai dit que tu étais sûrement assez grande pour décider quand il fallait partir. Tu as aimé cela, tu as montré tes dents pour la première fois de la soirée, puis tu es partie. Puis, tu es rentrée chez toi, tu as peut-être bu un peu, puis tu t’es mise à rédiger ta fameuse lettre. Tu me l’as envoyée le lendemain, et je l’ai reçue sur mon portable, dans un avion qui allait atterrir à LaGuardia. J’ai été obsédé durant toute la conférence, puis pendant la nuit à l’hôtel, j’ai rêvé de plantations de canne à sucre.

Je ne veux pas être ton maître, S. Si je veux quelqu’un pour torcher mes fenêtres, récurer mes toilettes, laver mon linge sale, pour élever mes hypothétiques enfants, ou pour gérer mes comptes, j’engagerai quelqu’un, j’en ai les moyens. Et si je veux taper les fesses d’une maid, je trouverai preneuse, une esclave d’un soir – une vraie, ou je payerai une pute.
Ceci dit, je referme doucement tes petits doigts sur ta liberté. Fais-en ce que tu veux. Si tu souhaites absolument devenir esclave, tu trouveras preneur. On est tous esclave de quelque chose, on délaisse tous notre dignité pour quelque obsession. Sois vigilante, ne laisse pas la prudence éteindre tes feux intérieurs, et surtout prend confiance. Prend confiance, car il y a effectivement une guerrière quelque part en toi, prête au cri de guerre, qui a peut-être trébuché par asthénie en voulant s’abandonner à moi, mais qui a prouvé son courage par la vigueur et l’originalité de ses avances.

Sois libre,

Angélus.

5 commentaires:

  1. Salut S., passe à mon bureau, j'ai un emploi pour toi, au noir, euh... dans le noir. :D

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  2. Non, non, non, je l'ai voulue la première! :)

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  3. Pas de chicane dans ma cabane. On va la couper en deux, pis on va partager. J'ai dit.

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  4. Le header me donne assurément des frissons de dégout. Ces mots me font frissonner tout autrement...

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  5. Désolé pour le header, SexySoda. Et tant mieux pour les frissons.

    A bientôt!

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