lundi 24 août 2009

Le triumvirat

Mon fils, disait ma mère, écoute ton cœur. Ton cœur sait ce qui est bon pour toi. Tu sauras dans ton cœur ce qui est vrai, bon. Mon père lui, bien qu’il ne tenait pas un discours aussi direct, aussi dans tes dents, il disait, à sa façon, d’une part par ses silences, d’une autre par ses enthousiasmes choisis, écoute ta raison. Ma mère n’était pas totalement cœur et mon père, pas totalement raison. Sinon ils ne se seraient jamais aimés. Je crois.

Quand la pilosité fit sa grandiose entrée et étendit progressivement son emprise sur les diverses chambres du palais qu’était mon jeune corps vierge de mâle fier, c’est comme si mon cœur était allé s’isoler dans mes lectures et que ma tête s’était déplacée dans mes couilles. Devant toute décision, je choisissais celle qui me donnerait le plus de chances de mettre à l’épreuve ces connaissances acquises lors d’innombrables soirées à scruter sur écran des blondes anonymes en prendre par tous les orifices. Évidemment, quand une telle décision menait à un succès, je constatais que les jeunes filles ne s’agitaient pas avec la même verve que dans les films; j’en étais déçu, mais j’espérais qu’en vieillissant, ça s’épicerait, ce qui arriva heureusement, et mes attentes furent largement comblées. La phase j’ai des couilles donc je suis se poursuivit longtemps, dure toujours, sous une forme plus nuancée, mais non moins empoignante (pour utiliser un terme de circonstance), et ne s’arrêtera, je présume et appréhende, qu’à l’âge ingrat où on se mettra à m’offrir en cadeaux des photos de petits-enfants et des bibelots, moment où je n’hésiterai pas à vendre mon âme au diable et à m’abandonner en vices et en dévergondages des plus immoraux.

En conséquence à de multiples déraillements amoureux, on finit par se rappeler ce que disaient Papa et Maman. Tête, cœur. Bon, comment ça marche, ça, encore? J’ai donc redistribué mes parcelles d’âme, en reconnaissant à la tête et au cœur leur juste part de l’être, mais en laissant tout de même la majorité à mon sexe qui ne dérougissait pas et aurait rapidement jalousé les deux autres. Ce remaniement ministériel me profita généreusement, me dotant de formidables outils qui me permirent l’accès à des rencontres plus profondes, à des bonheurs subtils et à des jouissances plus totales, faisant apparoir la splendeur d’une jouissance tripartite cœur-intellect-verge.

La régence du triumvirat n’est toutefois pas aisée. D’abord, elle ne prescrit pas de lois. Elle tient en place par la seule envie de jouir toujours plus grand et plus fort, jusqu’à la galaxie voisine, jusqu’à l’asphyxie, jusqu’au plus grand des dangers. Elle règne dans un climat de mots justes, d’alcools sophistiqués, de musiques exotiques, d’accoutrements complexes et soignés dont on se sert comme un pêcheur de ses filets. Elle demande de l’intelligence, grâce à quoi les plans d’opérations deviennent efficaces, par laquelle on se fait davantage incisif, exquis, effrayant, qui aiguise un humour excentrique qui fait marrer ceux qui ont du discernement et qui traumatise les cons. Elle nécessite le cœur; le cœur qui écoute, qui nous dote d’empathie et de magnanimité, le cœur qui encourage le risque, la folie, qui fracasse les barrières – le cœur cet altruiste. Et, bien sûr, les couilles, ces deux rois du sud, ces incorrigibles lions qui n’en ont que pour la chair, qui dévoreraient le moindre quart de pouce de peau révélée (surtout si dénudée accidentellement).

Il y a cependant un petit hic : c’est que les femmes, elles en ont pas de couilles (physiquement, dois-je spécifier). Le troisième membre du triumvirat, est remplacé par autre chose : une bouillie chimique innommable au fond des entrailles qui trouve toujours le moyen de poisser le bon fonctionnement du royaume. L’intelligence abdique aussitôt qu’elle entend la valse des consternations dans le hall, lance sa couronne par la fenêtre et la suit tout juste derrière. Le cœur, plus il tente de faire preuve d’empathie (et il essaie parfois fort), plus il a la nausée. Et les couilles se frustrent, elles ont envie de se vider quelque part, ne voient pas d’espoir, se projettent sous une jupe aléatoire vue quelque part dans la semaine. Pourtant, certaines ont définitivement plus de couilles (psychiquement, cette-fois) que certains hommes qui les ont laissées ratatiner. Il faut les avoir à l’œil : celles-là sont tranchantes, maléfiques, ce sont de véritables sorcières, des ensorceleuses sans pitié, dangereuses, donc délicieuses. Elles opèrent avec un seul but : vous vider de tous vos sucs pour leur propre profit. Il s’ensuit alors une véritable et délicieuse guerre de tranchées qui a les augures d’une véritable jouissance nucléaire.

Le triumvirat est temporaire jusqu’à, dit-on, l’âge de la mâtûrité. Hell. La maturité, sous cet angle, me fait autant envie qu’une bière à 0,5%. J’aurais aimé que la maturité trépasse avec la génération d’avant, qu’on ait proclamé haut et fort sa mort jusque dans les écoles et que les politiciens ne s’affichent plus comme des vertueux mais comme des impulsifs réfléchis et obsédés.

C’est, j’imagine, le propre de l’hédoniste de devoir s’épandre en propagandes pour sa paroisse. Il cherche à convaincre, à ébruiter les vertus du plaisir absolu, à encourager la quête de celui-ci, à créer de nouveaux sourires, à prospecter de nouvelles félicités. Il rejette le morose, le limité, l’ordinaire, la simplicité, même, et y préfère les couleurs vives, le hasard, l’exceptionnel, le composé. Il exècre la stabilité, en fait, elle le tue, lui fait moisir la tête, le cœur et les couilles.

L’hédoniste est un nomade à l’intérieur de lui-même.

4 commentaires:

  1. Qui voudrait soigner un si beau mal?

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  2. Parfois, je me dis que la vie serait plus simple ainsi... Un peu comme le gars hyper intelligent peut envier le confort de l'idiot.

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  3. Cannelle: Une vie simple, me semble que ça serait platte!

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