J’ai vu un grand soleil blanc, plus blanc que la mort, telles cent milliards de milliards de lampes à vapeur de sodium entassées dans ce globule démesuré qui envahissait les cieux à une vitesse inquiétante. J’ai couru dans le sens inverse, je me suis dit ça y est, dans deux heures on sera tous morts, je me suis retourné pour en voir la progression, faillant y laisser mes rétines, puis ma course a été rejointe par quelques femmes, des adolescents, un vieillard. Personne ne criait, tout le monde fuyait, le plus sérieusement du monde. Il était inutile de s’époumoner : devant la mort certaine, devant la désintégration du monde, seul courir semble avoir un sens. Et pourtant. J’ai couru jusqu’au Musée des Civilisations : la bâtisse me semblait solide, inébranlable. Les employés et les clients s’étaient dispersés dans la panique. Un préposé à la billetterie regardait par la fenêtre teintée, figé, hypnotisé, le grand soleil blanc s’accroître en avalant les nuages. Je l’ai saisi par les épaules, lui ai dit ne reste pas là, planque-toi. Il n’a pas bougé et j’ai poursuivi ma course jusque dans la salle d’exposition sur les Amérindiens.
Une heure plus tôt, à deux cents kilomètres d’où j’étais, à Montréal, les poteaux d’Hydro-Québec s’embrasaient comme des allumettes, l’asphalte se soulevait, craquait de partout et révélait des tuyauteries éviscérées qui projetaient leurs liquides en tous sens, aussitôt évaporés dans cette apocalyptique température. Les corps bouillaient de l’intérieur pendant une fraction de seconde, puis se vidaient de leurs eaux et devenaient, à peine une seconde plus tard, des fragiles masses de cendres qui s’effondraient au premier vent. Les automobiles explosaient comme des étincelles incandescentes. A l’aéroport, un avion s’était écrasé. Il avait foncé directement à travers tous les restaurants de l’aéroport, le Tim Horton’s, la brulerie St-Denis… Il y avait des Timbits et des grains de café qui trempaient dans l’essence. Des employés de banque s’étaient enfermés dans les voûtes et patientaient, spéculant sur ce qu’avait provoqué cette soudaine lumière aveuglante, cette chaleur brûlante. Dans une garderie, les stagiaires avaient vainement enfermé les enfants dans leurs casiers. Dans les hôpitaux, les infirmières avaient déserté. Des autobus étaient immobilisés un peu n’importe où, dans les voies inverses, dans les stationnements. Les métros et leurs passagers étaient prisonniers de la terre, perdus.
Ils n’avaient eu qu’une heure pour réagir. Au début une toute petite boule de lumière, grosse comme un vingt-cinq sous, avait pris naissance devant le complexe Desjardins. Des curieux s’étaient amassés autour, puis on avait appelé la police, mais avant qu’ils n’arrivèrent, déjà, les fenêtres des édifices autour avaient éclaté, trois hommes étaient morts, deux autres aveuglés et les médias parlaient déjà d’un phénomène inexplicable au centre-ville de la métropole québécoise. Des hélicoptères de l’armée s’étaient effondrés comme des moustiques en sondant l’improbable singularité. On recommandait aux Montréalais de se cacher dans leurs sous-sols, et aux gens des régions de ne pas approcher l’ile, et même de s’en éloigner. Les ponts étaient congestionnés. La ville était dans une agitation sans pareille. Puis, une heure plus tard, plus aucun signal en provenance de Montréal. Rien. Que le sinistre écho de la mort et de la désolation. Et le soleil blanc poursuivait son expansion meurtrière.
Alors que le monde, dehors, se consumait, j’étais absorbé par des considérations historico-sociologiques. Les Amérindiens considéraient que la différence entre l’homme et l’ours, et à ce compte, tous les animaux, était de nature culturelle. Ils mangent comme les hommes, chassent, à l’hiver ils préfèrent dormir, ils élèvent leurs bébés avec amour et leurs enseignent tout ce qu’ils doivent maîtriser pour survivre en forêt. Les ours sont des hommes autres. Pour l’Européen qui arriva au Nouveau-Monde, la terre était un endroit à exploiter. Il y avait un rapport hiérarchique entre l’homme et le reste de la nature. Il approcha l’Amérique avec un esprit mercantile. Il fallait que ses expéditions rapportent. Avait-on, nous les blancs, attisé la colère du Gitche Manitou, le courroux du Corbeau, à force de trouer la terre de nos machines, à force de noircir l’air de nos usines, de salir les eaux de nos shampoings et eaux de toilette? Je regardais les accoutrements, les lances, les flèches, que les muséologues avaient choisis d’exposer aux ignores citoyens de notre colonie qui trouvaient ça ben beaux, les costumes, et j’imaginais des musées futurs où l’on exposerait des télévisions (dans le rôle du conteur-chamane), des manettes de Playstation (dans le rôle de l’arc à flèches), une statue de Jean Charest (totem), une vidéo d’une nuit au Red Lite (ghost dance), des machines-à-sous (offrandes aux divinités) et des photos de jumelés rose et blancs (tipis). Je ne ressentais aucune fierté, seul m’habitait le regret de ne pas avoir été un révolutionnaire de la trempe du Che, de ne pas avoir assez tenté de mettre fin à toute cette folie. De toute façon, le Gitche Manitou s’en chargeait maintenant.
Dans quelques heures à peine, le monde occidental serait sans doute détruit. Tout ce qui en resterait, dans cinq cents ans, serait exposé, peut-être, dans des musées. Peut-être habiterons-nous dans d'immenses arbres modifiés génétiquement, dans lesquels pousseraient des tables et des chaises organiques et dont la sève fournirait à l’homme tous les nutriments nécessaires à sa santé? Peut-être communiquerions-nous enfin avec les morts grâce à des technologies impensables? Peut-être serions-nous enfin capable de faire à notre guise des rêves lucides – la nuit aller baiser des collègues de travail fiancées, aller pêcher sur une mer lunaire, s’asseoir sur les anneaux de Saturne, déterrer des cadavres juste par curiosité, ou même se lancer en bas de la tour Eiffel? Ou aurons-nous enfin soumis la nature à nos besoins – de téléviseurs 340 pouces, de gel ultra-ferme, de Hummer, de Slap Chop, de grille-pains à ions, de poupées gonflables en polymère méga-moite?
Une femme noire arriva en criant et en disant ô Lord, ô Lord, me sortant de mon hypnotisme. Elle criait en anglais que la fin du monde était arrivée, bla, bla. Rien que je n’avais pu conclure par moi-même. Je lui recommandai de se calmer, de respirer pour les dernières fois par ses narines et de prier. La fin du monde, me disais-je, c’était tout de même moins pire que la mort dans un centre d’accueil. Tout le monde meurt en même temps; on se sent moins seul. Je ressortis du labyrinthe de l’exposition. Dans le hall, la lumière était si vive qu’il me fallu mettre mes Ray-Ban, et plisser les yeux pour y laisser entrer un minimum de lumière. Des gens s’étaient couchés par terre et attendaient la mort. Un musulman faisait des révérences à ce soleil nouveau en tonitruant en arabe des paroles de supplication. Dehors, les voitures explosaient. On entendait les structures métalliques se dilater dans d’odieux feraillements.
La chaleur devenait insupportable. Des gouttes de sueurs me chauffaient les yeux, me privant de la vue. Je dus m’asseoir par terre, impuissant, aveugle. Mes oreilles se mirent à siller. Je portai mes mains à mon visage. J’entendais des cris de souffrance, tout près. Les fenêtres éclataient. Le musée s’écroulait. Des morceaux de béton s’effondraient près de moi. Je reçus un bloc sur le pied gauche et j’hurlai de douleur. En ouvrant la bouche, je la sentis s’assécher aussitôt, comme s’il eut s’agit d’une goutte d’eau sur un rond de poêle rouge, mon estomac même semblait sec comme un biscuit. J’étais envahi, vaincu, par la lumière, la chaleur. La seconde d’après, tout était blanc.
Puis, plus rien.
whoooof...!
RépondreEffacer...et je reste bloquée sur ce fichu rectangle blanc à ne pouvoir commmenter ce texte que je trouve superbe,pour ce qu'il dit et le style.
Contente de te "revoir", Angélus !
Ari
Ouais... Du beau boulot ! Bon rythme, images frappantes ! Hot, indeed !
RépondreEffacerMerci !
Ari: Eh, merci d'avoir trouvé les mots pour montrer ton appréciation. A bientôt!
RépondreEffacerL'achigan: Merci à toi de venir lire, mec :)
a+ tous
Un changement de thématique???
RépondreEffacerDiablement bien écrit, comme toujours... J'adore, même si tu me fais mourir en premier (un reste de galanterie, sans aucun doute! ;) )
Je connais beaucoup la mythologie amériennne, tu sais?
RépondreEffacerJ'ai seulement pu affronter cet 'ours' cet été et mon voyage de Regina jusqu'à l'Ile de Vancouver a été spirituellement accompagné du Corbeau.
Tu aurais dû demander au Corbeau de capturer le soleil...il l'a déja fait, tu sais!
J'adore le fait que tout soit blanc..
Je suis complètement dépeignée là ...
RépondreEffacerV: Ouaip. Ca m'arrive. De changer de thématique. Et d'être galant. :)
RépondreEffacerMagnolia: Une mythologie riche et si différente... absolument fascinante. Avec Angélus, tout est toujours blanc.
La Shirley: C'est généralement ce qui arrive... :P
voilà, " puis,plus rien."
RépondreEffacer....
T'es là Angélus ??
Ari
Salut Ari,
RépondreEffacerJe suis là, faut pas s'en faire, y'aura des histoires sous peu ici. Explications habituelles: turbulences du quotidien, etc. Angélus est là. Il est comme un ours, l'hiver; il fait le plein de rêves. Il n'attendra toutefois par le printemps pour tout raconter. Un chatouillement, la sensation d'une haleine, l'écho d'un chant, suffiront à me réveiller.
A bientôt.
A.
Un souffle chaud sur votre oreille, mystérieux ange ...
RépondreEffacer