mercredi 9 septembre 2009

L'indécente femme du patron

Dallas, 2007

Mon patron, appelons-le M. Morin, m’assurait que ma présence serait nécessaire à ce meeting crucial avec des partenaires de Dallas qui concoctaient toutes sortes de nouveaux traitements que les oncologues recommandaient avec une lueur mensongère dans le regard. J’allais manquer un excellent spectacle de danse contemporaine chorégraphié par Pina Bausch au Centre National des Arts et j’offris les billets à une amie de longue date qui me remercia mille fois de trop.

Nous nous étions envolés, le patron avec sa femme Sandra, moi seul, et nous atterrîmes à Fort Worth vers quinze heures. Nous logions dans un hôtel convenable où d’autres hommes et femmes d’affaires couchaient en attendant leurs rendez-vous, leurs conférences ou autres platitudes qu’impose le marché. Le choix du restaurant revint à Sandra : un steak-house. M. Morin s’exprime toujours en anglais et même si son nom semble indiquer un père et une éducation francophone, lorsqu’il ose son français, on jurerait qu’il a la bouche pleine de mélasse. Sandra est une fausse blonde aux seins refaits, mi-quarantaine, de quinze ans la cadette de son époux. Ne sachant quoi faire de sa maîtrise en histoire ancienne, elle s’était fusionnée à ce bougre de workaholic.

Le patron insista pour qu’en soirée nous allions assister à des courses de chevaux. J’essayai de me dégager de l’activité mais les plaidoiries de Sandra en faveur du Lone Star Park me forcèrent la main, à moi qui n’avait aucun intérêt pour quelque activité reliée de près ou de loin à la race hippique, sinon la cuisine. Pendant que M. Morin plaçait ses paris, me surprenant à peine, Sandra ne ménagea pas ses charmes à mon endroit.

- Oh, Angélus, je me demande bien ce tu fais seul. N’y a-t-il pas de filles dans ta vie?
- Il y en a.
- Des chanceuses. Un beau brun comme toi. Avec ta démarche calme et assurée, ton allure propre et distinguée.
- Je t’en prie, Sandra. Tu vas me faire rougir.
- Je ne t’ai jamais vu rougir, ça serait adorable que je réussisse à le faire.

Elle mit sa main sur mon genou, feignit de la faire descendre, mais la retira avant de franchir la barrière de l’indécence pure. Je me sentais dans une situation délicate et j’aurais voulu fuir à Iqaluit, loin de l’odeur ambiante de jument en chaleurs. Le retour de M. Morin fut salutaire (qui l’eut cru).

J’étais plus qu’heureux, soulagé même, de m’enfermer dans ma chambre à notre retour à l’hôtel. Je pris une douche brûlante, et en sortant de la salle de bain dans le peignoir fourni par la maison, un nuage d’humidité me poursuivait. Je m’endormis en écoutant The Devil Wears Prada et je rêvai à Anne Hathaway toute nue sous un manteau en fourrure de léopard des neiges.

Au cœur de la nuit, on cogna à ma porte de façon insistante, doucement, mais assez pour m’extirper de mes fabuleux songes. J’étais tout nu; j’ouvris donc la porte de trois centimètres en me cachant derrière. C’était Sandra.

- Angélus, Greg ne cesse de ronfler, je n’arrive pas à dormir…
- Euh… et que veux-tu que j’y fasse, Sandra?
- Je suis certaine que t’as une solution pour moi, non?

Elle porta son doigt à ses lèvres et plia les genoux.

- Non, vraiment, Sandra, tu es adorable, mais je dois dormir.

Elle poussa sur la porte, m’écrasant le gros orteil.

- Aie! Sandra, je suis nu, laisse-moi!

Je repoussai la porte plus violemment que je ne l’aurais souhaité et elle recula dans le couloir, scandalisée, l’égo meurtri. Par le judas je l’aperçus soupirer et retourner, ridiculement mouillée entre les jambes, vers la chambre où son mari ronronnait comme un John Deere.

Le lendemain, elle resta dans la chambre d’hôtel pendant que moi et M. Morin assistions à cette rencontre infructueuse lors de laquelle mes compétences ne furent jamais sollicitées (je songeais alors à ce spectacle raté, le comparant à la course de chevaux et à l’indécence de Sandra), et nous reprîmes l’avion en début d’après-midi dans un silence presque morbide.

A mon retour, je songeais à cet étrange épisode, et je me demandai s’ils n’avaient pas manigancé cela elle et lui, si j’avais mis ma carrière en danger en repoussant Sandra, si en réalité le patron consentait, voire avait prévu, que je baise sa femme à sa place. Beaucoup de femmes auraient pu entrer dans ma chambre ce soir-là mais pas Sandra, non. Quelque chose en elle me révulsait. Ces années à se mentir à elle-même, à se dire que M. Morin la rendait heureuse, que d’être femme au foyer la satisfaisait; c’était sa mort intellectuelle, sa moribonde individualité, son autonomie déficiente. La femme éclipsée par l’homme qu’elle n’avait pas vraiment choisi.

3 commentaires:

  1. Je ne comprends pas. Il y a un trou béant dans le récit qui dans l'absence d'arguments, d'exemples, on prend pitié de Sandra alors que tu qualifie d'inauthentique, de vivre dans son illusion.

    Par opposition, on s' y croit vraiment grâce au détail du steakhouse. Il n'y a effectivement pas beaucoup de choix autre que celui-ci en restauration!!

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  2. La Méduse/Renard: Merci, vous reviendrez vous tremper. :)

    Julie: Oui, elle inspire la pitié, la pauvre Sandra. On vit tous dans nos illusions, seulement elle, elle est comme "morte" dedans...

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